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Gérard Bouchard: Le débat sur la laïcité «a assez duré»

Photo: Archives Métro

Dix ans après la publication du «code de vie» d’Hérouxville, est-ce que la situation des accommodements raisonnables et de la neutralité de l’État a évolué au Québec? Peu, si on se fie à plusieurs observateurs. Pour Gérard Bouchard, qui a co-présidé la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles – connue sous le nom de Commission Bouchard-Taylor –, cet immobilisme est incompréhensible.

Le projet de loi 62 sur le respect de la neutralité religieuse de l’État et sur les demandes d’accommodements dans certains organismes stagne. On parle souvent d’un retour à la case départ à propos de ces questions. Comment expliquez-vous cette immobilité?
Je me pose la même question que vous. Quand nous avons travaillé, [Charles] Taylor et moi, dans le cadre de notre mandat [NDLR : la Commission Bouchard-Taylor a été créée le 8 février 2007], nous avons fait l’équivalent d’un très gros sondage, qui nous montrait qu’en général, les choses se passaient assez bien, sur le plan des accommodements. Que ce n’était pas le désordre ou l’anarchie qu’on craignait. Mais ça, ça fait 10 ans. Depuis ce temps, les choses n’ont plus changé beaucoup. Il y a des signes qui nous montrent qu’il y a des problèmes qui sont apparus ou qui n’ont pas été résolus.

Est-ce que c’est une erreur de vouloir légiférer sur des questions qui touchent, par exemple, le port du voile sans avoir mis en place, tel que vous le recommandiez dans votre rapport, plusieurs mesures pour comprendre et réduire les inégalités et les stéréotypes?
Dans le cas des relations entre la religion et l’État, on est sur une question de principes profonds, sur laquelle nous avons chacun nos opinions. Je pense que les éléments d’information, nous les connaissons. Je crois que le débat a assez duré. Notre société est divisée, il faut que quelqu’un tranche. C’est la responsabilité du gouvernement.

[Du côté des accommodements], je trouve l’inactivité de notre société et en particulier des gouvernements extrêmement imprudente. Tout le monde est au courant qu’il semble y avoir des problèmes, mais on dirait que personne ne veut vraiment aller voir comment ça se passe. Ou bien on s’aperçoit que tout est normal et on peut calmer la population, ou bien on s’aperçoit que c’est vrai qu’il y a des problèmes, et là, il faut se dépêcher de les régler.

Pourquoi, selon vous, ce travail de terrain n’est pas fait?
Je ne comprends absolument pas les gouvernants qui semblent réfractaires à commanditer une étude qui nous permettrait de connaître l’état des choses : comment les demandes se présentent elles ? Dans quel contexte ? Est-ce que les décisions qui sont prises sont contradictoires ? Nous l’avons vu il y a 10 ans, au moment de la Commission. Le Québec est venu tout près d’une forme de dérive collective. J’inclus là-dedans Hérouxville. Est-ce qu’on n’est pas en train de préparer un climat où le même genre d’épisode se répéterait? Ça serait vraiment désagréable.

«Présentement, il y a pas mal de monde obligé de parler des accommodements sans savoir exactement ce qui se passe. Dans l’ignorance de la réalité. Ce n’est pas sain pour une société. C’est courir après les problèmes.» – Gérard Bouchard, historien et sociologue, coprésident de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles

Quand vous écoutez Donald Trump ou Bernard Gauthier, qui tiennent des propos qu’on peut qualifier d’intolérants ou qui décrivent une peur des immigrants, comment réagissez-vous ? Je pense aussi à M. Drouin, derrière le code de vie d’Hérouxville, qui affirme qu’il ferait exactement la même chose aujourd’hui…
D’abord, Hérouxville, c’était deux individus dans un village de Mauricie qui ont décidé qu’ils se donnaient un règlement pour interdire la lapidation, etc. Normalement, ça aurait dû en rester là. C’est les médias qui ont littéralement fabriqué Hérouxville.

Peut-être qu’il va se produire la même chose avec [Bernard] «Rambo» [Gauthier]. C’est un type qui s’est fait connaitre et aimer, parce qu’il y a un problème social sur la Côte-Nord, dont peut-être pas beaucoup de gens s’occupent. Lui s’en occupe. Mais pourquoi on l’invite dans les émissions de télévision? Pourquoi on lui donne la parole? On est en train de fabriquer «Rambo», et il va devenir très important si on continue.

Une autre chose, c’est qu’en général, les populistes ne se créent pas de toutes pièces. Il y a des éléments dans leur discours qui sont fondés. «Rambo» parle au nom des défavorisés. On ne peut pas ridiculiser ça. Trump parlait au nom de ceux qui sont déclassés par la politique, au nom de ceux qui sont impuissants, qui sont rejetés par les institutions. On ne peut pas non plus dire que ce n’est pas sérieux. Il y a toujours quelque chose en dessous qui touche un problème réel. Autrement, ça ne marcherait pas.

Est-ce que vous êtes découragé de la situation, parfois?
Je ne suis pas découragé, mais je suis conscient que le Québec fait face présentement à des problèmes importants. Voyez les résultats du sondage CROP–La Presse de décembre dernier: 60% des Québécois se disent exclus socialement. C’est 60% de Québécois qui sont mécontents, qui se sentent impuissants. Il y a une majorité de Québécois qui ont déclaré dans ce sondage qu’ils ne faisaient plus confiance aux partis politiques, aux médias, aux gens d’affaire, aux scientifiques… C’est un décrochage social inquiétant.

Est-ce que vous auriez des propositions pour désamorcer ce décrochage?

Quand vous essayer de comprendre ça, vous finissez par accuser la mondialisation, l’évolution de l’économie, la dérive de la démocratie (qui est de plus en plus contrôlée par les lobbys), les grands acteurs économiques (qui marginalisent la majorité des votants). On arrive à identifier des causes. Mais là, vous me demandez ce qu’il faut faire pour reprogrammer la mondialisation, l’évolution de l’économie, pour remettre la démocratie sur ses rails; je ne peux pas vous répondre dans la minute qui suit. Ce sont d’immenses bulldozers qui se sont mis à rouler lentement, à la surprise de tout le monde, il y a quelques décennies, et qui maintenant ont pris leur élan et bouleversent tout. Je vous dis que je ne suis pas découragé, mais je ne suis pas très réjouissant non plus! (rires)

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