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Congé de paternité: retour au travail parfois ardu

Stéphanie Marin, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Les Québécois sont nombreux à prendre leur congé de paternité à la naissance du bébé. Mais certains le paient plus cher que d’autres lors du retour au travail, rapporte une chercheure qui a étudié la situation.

Stress, épuisement, crainte d’être mal vus des collègues, d’être tablettés et de perdre bonus et promotions, voilà le lot de ces papas qui ont voulu profiter des premiers moments de la vie de leur enfant.

En 2014, Valérie Harvey a rencontré 31 Québécois qui ont pris des congés de paternité, tous dans le milieu exigeant — et aux longues heures — de l’informatique et des jeux vidéo. Un milieu aussi presque exclusivement masculin, souligne la chercheure au Département de sociologie de l’Université Laval.

Elle a présenté ses résultats de recherche lors d’une conférence baptisée «Papa 2.0» lors du récent congrès annuel de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS).

Avant le Régime québécois d’assurance parentale, qui existe depuis 2006, un père n’avait droit qu’à deux semaines de congés payés, gracieuseté de l’Assurance-emploi fédérale.

Maintenant, au Québec, le régime québécois offre aux pères cinq semaines de congé, qui leur sont dédiées exclusivement, 18 qui sont réservées aux mères et 32 semaines (environ huit mois) que les parents peuvent se partager.

Au Canada, 15 pour cent des pères prennent une part du congé parental alors qu’au Québec, c’était 20 pour cent avant 2006. Après, il a été calculé que 80 pour cent des pères prennent le congé, pour une durée d’environ sept semaines, en moyenne. «C’est passé de presque rien à énorme, alors qu’au Canada c’est toujours 15 pour cent qui prennent leurs deux semaines», rapporte Mme Harvey.

Elle dit avoir entamé cette recherche pour voir comment les pères géraient la situation «parce que ce n’est pas parce qu’ils l’utilisent (le congé) que c’est forcément facile».

Au total, les 31 pères de son étude ont pris 49 congés de paternité — puisque certains ont eu plus d’un enfant.

Sur ces 49, 21 ont été un congé qu’elle a qualifié de «court» dans sa recherche — en moyenne cinq semaines — et 28 ont été des congés dits «longs» — en moyenne 17 semaines, mais allant en réalité de sept à 32 semaines.

Un retour au travail

Le retour au travail a son lot de défis.

«Il y en a qui le paient plus cher que d’autres», résume la chercheure.

D’abord, l’entreprise considère parfois qu’avec le congé de paternité, elle a fait sa part et s’attend à un employé de retour au boulot en version tout aussi disponible, dit-elle.

Aussi, parce que l’entreprise s’attend à ce que le congé du père soit moins long que celui de la mère, elle ne le remplace souvent pas durant son absence. On considère que ce sont des semaines de «vacances». Résultat: le travail est réparti sur les autres employés, ce qui peut créer du ressentiment de leur part, et du stress pour l’employé conscient de leur sort, rapporte-t-elle.

Ne pas remplacer un employé qui partait deux semaines, comme avant 2006, c’est une chose, mais ne pas le remplacer pendant sept ou huit mois, il s’agit d’une toute autre situation, explique la chercheure.

L’industrie de l’informatique et des jeux vidéo en est une d’heures flexibles. Mais l’habitude des employés est plutôt le travail de soir. Or les pères qui se font réveiller au petit matin par les enfants arrivent plus tôt au travail et quittent aussi plus tôt pour récupérer le bambin à la garderie. Bref, les autres les voient quitter «tôt» à 16h, mais ne les ont pas vus arriver à 7h30 du matin. Et ils ne sont pas forcément là quand l’équipe termine un projet urgent à 23h.

«Il y en a qui ont perdu des promotions, qui ont l’air de moins travailler que les autres, qui ont l’air d’être moins présents. Il y a perte de bonus, car des fois les heures supplémentaires sont payées en bonus, ou en fonction de la perception qu’a ton patron de ta performance, parce qu’il te voit moins le soir», explique Valérie Harvey. Et parfois, même si l’employé ne se fait rien reprocher, il se culpabilise de laisser les autres terminer un projet.

Certains ont eu l’impression d’être tablettés, qu’on leur a donné le travail le moins exigeant, le moins créatif, disent avoir été écartés d’un projet sur lequel ils travaillaient avant le congé.

La situation serait plus difficile pour les jeunes pères dans la vingtaine, a-t-elle relevé. «Ils sont jeunes, sont soumis à beaucoup plus d’attentes et ils ont peur pour leur emploi.» Ceux dans la trentaine se sentent moins coupables de refuser des heures supplémentaires car ils se disent: «moi, je les ai fait mes preuves», rapporte Mme Harvey.

Sur ses pères sous étude, cinq sur 31 ont décidé de quitter leur emploi. «C’est beaucoup», juge-t-elle. Un autre a rapporté avoir vécu quelque chose de similaire à un «burn out», parce qu’il s’est poussé jusqu’au bout, s’est imposé de revenir au travail après être allé chercher l’enfant à la garderie et le souper en famille, pour être là le soir quand les collègues y étaient aussi. «Ça fait des journées coupées en deux, une grosse charge», commente la chercheure.

Ces difficultés au retour au travail sont évidemment aussi vécues par les mères, et Mme Harvey dit avoir eu l’impression, en réalisant son étude, qu’il y a une forme de discrimination au travail envers les parents, mères et pères. Une impression qu’elle aimerait valider avec d’autres travaux.

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