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Des moyens d'enquête «exagérés», dit Lagacé

Photo: Facebook
Stéphanie Marin, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Les moyens d’enquête déployés par la police pour le surveiller étaient exagérés, a affirmé jeudi le chroniqueur vedette Patrick Lagacé devant la Commission d’enquête sur les sources journalistiques. Il estime de plus que le fait qu’ils aient obtenu les données des téléphones cellulaires de plusieurs journalistes québécois risque fort de décourager les sources de parler.

Une perte pour le droit du public à l’information, juge le chroniqueur de La Presse.

Son témoignage fort attendu a été rendu jeudi devant la commission Chamberland.

M. Lagacé est au centre du déclenchement de cette commission d’enquête, après qu’il eut été révélé qu’il a été espionné par la police, qui a obtenu au moins 24 mandats de surveillance pour avoir accès aux métadonnées de son téléphone. Parmi ceux-ci, trois des mandats ont permis d’obtenir les numéros entrants et sortants de l’appareil, et un autre a permis aux policiers du SPVM d’activer la puce GPS de l’iPhone du chroniqueur. D’autres journalistes ont subi le même sort.

Une filature a aussi été organisée, rapporte-t-il.

«À un moment donné, ça devient exagéré, disproportionné, l’énergie qu’on va mettre (pour) traquer des sources», a-t-il tranché devant le commissaire Jacques Chamberland.

Patrick Lagacé a rapporté qu’un policier du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) lui a écrit pour lui dire qu’il est loin d’avoir les ressources nécessaires pour traquer des criminels violents. Difficile d’avoir le personnel pour rédiger deux mandats — et encore moins 24 — et ensuite pour avoir les équipes requises pour la surveillance. Il a dit être fâché de voir les ressources mises sur la tête du chroniqueur, pour savoir qui lui a parlé.

Ça prend du temps et de l’argent, aurait souligné le policier.

M. Lagacé a été ciblé par deux enquêtes de la police, la première fois lorsqu’il a fouillé un indice reçu selon lequel Denis Coderre, avant qu’il ne soit maire de Montréal, avait tenté de faire annuler une contravention — ce qui s’est révélé faux — et l’autre lorsque des enquêteurs spécialistes des gangs de rue et du trafic de drogue ont été visés par des allégations de fabrication de preuve.

Selon M. Lagacé, c’est toute la société qui va être perdante si des sources ne leur parlent plus et donc ne dénoncent plus des situations illégales ou aberrantes.

«Sans sources confidentielles, il y a peu de journalisme de valeur qui peut se faire», a-t-il plaidé devant la commission.

«Il y a des gens qui acceptent de parler à des journalistes, en échange d’une certaine forme de confidentialité, pour pouvoir parler librement et passer des documents librement, parce qu’ils estiment que c’est dans l’intérêt public. Si ces gens-là savent désormais que la police, avec les moyens d’enquête de la police, peut les débusquer, c’est sûr qu’il y a un effet refroidissant».

M. Lagacé a aussi déploré que des juges de paix aient accordé des mandats trop facilement, ce qui a permis aux policiers de savoir exactement à qui il a parlé et où il se trouvait pendant des mois.

Selon la police, ses informations ont été mises sur une clé USB de grade militaire et placées dans une voûte sécurisée, mais il a découvert par la suite que cela ne fut pas le cas dès le début de la saisie de ses informations, a-t-il expliqué.

Ce n’est donc pas vrai que la protection des données était si importante pour eux, tire-t-il comme constat.

«Moi je suis sorti de cette saga-là avec une confiance ébranlée envers la police», a-t-il déclaré devant la commission.

En mêlée de presse par la suite, M. Lagacé a précisé que la police n’est pas juste constituée de hauts gradés, mais surtout de tous ces policiers qui adorent leur travail et qui veulent protéger les gens.

Le chroniqueur a toutefois répété que les journalistes ne sont pas au-dessus des lois et que certaines situations — s’ils commettent un crime, par exemple — peuvent justifier une surveillance policière.

Il a ajouté que le politique est trop près de la police.

Une autre journaliste témoigne

La journaliste d’enquête de Radio-Canada, Marie-Maude Denis, a aussi témoigné jeudi matin.

Une autorisation judiciaire a permis à la Sûreté du Québec (SQ) d’espionner ses communications durant une période de cinq ans.

Lors de son témoignage, elle a exprimé son dégoût face à cette façon d’agir: «J’ai trouvé ça extrêmement intrusif».

Elle était aussi outrée que des policiers de la SQ qui enquêtaient sur des fuites d’information dans les médias aient allégué dans une déclaration sous serment qu’un de leurs collègues avait possiblement entretenu une relation intime avec Mme Denis.

Celle-ci a vigoureusement nié cette allégation jeudi matin.

«C’est de tout temps quand des femmes réussissent en journalisme, qu’il y a toujours, des fois, des petites rumeurs, des allusions, d’histoires de chambre à coucher, alors on n’est pas surpris de ça.»

«Mais que ça se retrouve consigné dans un document judiciaire entériné par un juge de paix, je suis renversée, je suis choquée», a-t-elle déclaré.

Des recommandations

Patrick Lagacé, plongé dans cette affaire depuis des mois, a offert des suggestions à la demande du procureur de la commission, François Grondin.

Il suggère qu’un ami de la cour, une sorte d’avocat-conseil, soit dans la chambre du juge qui est appelé à autoriser une demande de surveillance d’un journaliste. Et cela, afin de protéger le droit du public à l’information, dit-il.

Il est aussi d’avis que le mur entre le politique et la police devrait être plus élevé.

«Ce n’est pas normal de voir le maire dire ‘mon chef de police’», a fait valoir le chroniqueur.

Le chef de police doit être indépendant, et son processus de nomination devrait l’être aussi, dit-il, et (il) ne doit pas craindre d’être renvoyé s’il déplaît aux autorités en place.

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