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Ottawa face au marketing de la marijuana

Laura Kane, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

VANCOUVER — Les étudiants en marketing de la marijuana de David Brown sont souvent stupéfaits d’apprendre à quel point il est difficile de commercialiser la substance.

La publicité du cannabis médicinal est essentiellement interdite au Canada, à quelques exceptions près. Les restrictions sur le cannabis à des fins récréatives devraient s’assouplir prochainement, mais M. Brown conseille toujours à ses étudiants d’aborder ces contraintes comme des occasions.

«Ces limites peuvent vraiment aider à la créativité. La commercialisation du pot n’est pas difficile, mais le marketing d’un produit du cannabis hautement réglementé représente un plus grand défi», a expliqué David Brown, de l’université polytechnique Kwantlen.

Alors que la légalisation approche à grands pas, certains observateurs croient qu’Ottawa fait face à un jeu d’équilibriste sur la commercialisation de la substance. Les grands producteurs arguent que l’image de marque est importante pour convaincre les consommateurs d’opter pour le marché légal, alors que les intervenants en santé demandent des paquets neutres et des limites strictes sur la publicité.

La Loi sur le cannabis, qui légaliserait la marijuana à des fins récréatives en juillet prochain, imposerait des limites semblables à celles du tabac. Elle interdirait la publicité qui viserait les jeunes, qui contiendrait des informations fausses ou trompeuses, et qui présenterait des gens, des célébrités, des personnages ou des animaux.

Elle permettrait toutefois des annonces qui énonceraient des faits ou qui feraient la promotion d’une préférence de marque. Mais encore là, ces publicités devront apparaître seulement dans des lieux auxquels les jeunes n’ont pas accès, et si elles sont diffusées largement, l’entreprise doit avoir «pris des mesures raisonnables» pour s’assurer que les jeunes soient à l’abri.

Certains jugent les règles trop vagues, car par exemple, on ne sait pas si une publicité pourra être diffusée avant une émission ou un film destiné au public adulte ou comment la promotion se fera le web.

La porte-parole de Santé Canada, Tammy Jarbeau, a indiqué que les «mesures raisonnables» pour s’assurer qu’une publicité ne soit pas vue par un jeune dépendront des circonstances. Par exemple, les sites internet pourraient utiliser des mécanismes pour vérifier l’âge.

«Cela offrirait la possibilité de communiquer des informations factuelles sur le cannabis, ainsi que des informations sur les caractéristiques d’une marque, pour permettre aux consommateurs adultes de prendre des décisions informées», a-t-elle précisé.

Elle a ajouté que le gouvernement ne considérait pas changer les parties de la loi sur la publicité, mais si celle-ci est adoptée par le Parlement, Santé Canada pourra élaborer des directives claires pour aider l’industrie à se conformer aux règles.

Dix-sept producteurs autorisés ont formé la Coalition pour une promotion responsable du cannabis et ont proposé des directives, dont celle de permettre les publicités à la télévision, à la radio et sur les sites dont au moins 70 pour cent du public serait âgé de plus de 18 ans.

Les provinces peuvent ajouter leurs propres règles sur la commercialisation. Québec permettrait certaines publicités dans les journaux et magazines où le lectorat serait formé de 85 pour cent de personnes majeures, ainsi que certains affichages dans les magasins de cannabis.

«Déléguer (cette responsabilité) aux provinces n’est pas la réponse», a déclaré Lindsay Meredith, une professeure de marketing à l’Université Simon Fraser, qui craint la possibilité d’un «débordement» — c’est-à-dire que les publicités qui respectent les règles d’une province soient présentées dans d’autres où les règles sont différentes.

Mark Zekulin, président du plus grand producteur autorisé du Canada, Canopy Growth, a fait remarquer que l’image de marque amenait les entreprises à soigner leur produit pour que les consommateurs s’en souviennent.

«Si tout le monde offre le même emballage blanc, peut-être qu’ils se souviendront ce qu’ils ont acheté, peut-être pas», a-t-il indiqué.

Santé Canada a récemment proposé des règles qui limiteraient l’utilisation de couleurs et d’illustrations sur les paquets et qui obligeraient les producteurs à fournir de l’information spécifique sur le produit, des avertissements de santé et un symbole universel sur le taux de THC.

Ces règles exigeraient aussi que les emballages aient une taille de police, une grosseur et une couleur standards. Les consultations publiques sur ces mesures prennent fin le 20 janvier.

Selon Brendan Kennedy, président de Tilray, un autre producteur, avec de telles règles, les entreprises autorisées auront du mal à se différencier entre elles et par rapport au marché noir.

Rebecca Jesseman, du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, croit pour sa part que les restrictions sur les éléments de marques devraient être plus claires.

«C’est un équilibre délicat, parce que nous ne voulons pas faire la promotion d’une utilisation accrue, et nous ne voulons pas que l’emballage soit tape-à-l’oeil, mais nous voulons certainement l’utiliser comme une façon de rassembler les informations de façon efficace», a-t-elle expliqué.

«Je crois que nous envisageons quelque chose d’informatif, exact, et peut-être un peu plus fade.»

Le Canada peut s’inspirer de certains États américains qui ont légalisé la substance. Le Colorado permet les publicités à l’écrit, à la radio, à la télévision et sur le web s’il y a des preuves fiables que le public est formé de 70 pour cent d’adultes âgés de 21 ans et plus. L’État de Washington oblige quant à lui les producteurs à offrir un certain nombre d’avertissements.

Le Colorado a interdit la promotion qui vise les enfants. Avec le temps, les règles sont devenues plus spécifiques: il est par exemple interdit de fournir des aliments en forme d’animaux, a souligné Lewis Koski, l’ancien directeur de l’application de la loi sur la marijuana.

Le gouvernement fédéral s’est donné plus de temps pour mettre sur le marché des produits comestibles; les règles devraient être en place en juillet 2019.

M. Koski, cofondateur de la firme de consultants Freedman & Koski, a salué cette stratégie.

«Santé Canada a fait du très, très bon travail. Ils ont été très réfléchis dans leur approche et ils reconnaissent que cela va prendre un certain temps et que cela va évoluer», a-t-il commenté.

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