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Air Canada et langues: efficaces, des amendes?

Un avion d'Air Canada passant au-dessus du rond-point Pitfield avant d'atterrir sur la piste 24R de l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. Photo: Maxime Johnson
Mélanie Marquis, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

OTTAWA — Le nouveau chien de garde du bilinguisme au pays, Raymond Théberge, n’est «pas convaincu» que punir Air Canada en lui infligeant des amendes en cas d’infraction à la Loi sur les langues officielles aurait un effet dissuasif.

En entrevue avec La Presse canadienne, mardi, le commissaire aux langues officielles a exprimé des réserves face à cette recommandation formulée en novembre dernier par un comité parlementaire tout en reconnaissant qu’il n’avait «pas la solution».

Le commissaire Théberge a argué que frapper Air Canada de pénalités financières en cas d’infraction «ne changera pas» le «cost of doing business» de la compagnie, et qu’il était donc nécessaire de «vraiment étudier plus ce que ça veut dire, donner des amendes».

Il a dit avoir insisté sur le fait qu’«à l’exception de quelques récidivistes comme Air Canada, la grande majorité des institutions fédérales respecte la loi» et suit les recommandations du Commissariat aux langues officielles (CLO).

Comme passager, Raymond Théberge dit «écoute(r), bien sûr» pour évaluer si les employés du transporteur respectent les obligations linguistiques. Son expérience lui a permis de constater que «le service est variable, disons», mais que cela «dépend des trajets».

Le comité permanent des langues officielles a demandé au gouvernement en novembre dernier de donner à l’agent indépendant du Parlement le pouvoir d’imposer des amendes à toutes les institutions soumises à la Loi sur les langues officielles.

Cette piste de solution avait été mise de l’avant par l’ancien patron du CLO Graham Fraser dans un rapport spécial sur Air Canada remis au Parlement en juin 2016, dans lequel il disait toute son exaspération de voir le transporteur enfreindre la loi à répétition depuis 45 ans.

Le pdg de la compagnie aérienne, Calin Rovinescu, avait été courroucé par la publication du document portant exclusivement sur Air Canada — un geste exceptionnel. Il en avait rejeté les recommandations lors d’un passage en comité parlementaire, en juin 2016.

Le commissaire Théberge, qui est entré en fonction le 29 janvier dernier, a offert mardi sa vision de la chose dans le cadre d’une longue entrevue accordée dans ses lumineux bureaux avec vue sur la rivière des Outaouais, à Gatineau.

La ministre responsable du dossier des langues officielles, Mélanie Joly, n’a pas voulu dire si elle y voyait là un manque de mordant. «Le commissaire est indépendant et je respecte son indépendance», s’est-elle contentée d’offrir.

Elle a affirmé que les recommandations du comité parlementaire, dont celle entourant l’imposition d’amendes, «sont toujours en analyse présentement» et le gouvernement compte répondre «dans les prochaines semaines».

Au fil de l’entretien d’une trentaine de minutes qu’il a accordé à La Presse canadienne dans le cadre de son arrivée en poste, Raymond Théberge s’est prononcé sur une variété de sujets. Voici certains de ces commentaires, en vrac.

La récusation de Madeleine Meilleur

L’ancien recteur de l’Université de Moncton, qui est devenu le premier commissaire non issu de la filière du Québec ou de l’Ontario à occuper cette chaise, n’était pas le premier choix du gouvernement libéral — il n’avait d’ailleurs pas postulé. Au départ, Justin Trudeau avait jeté son dévolu sur l’ancienne ministre libérale à Queen’s Park, mais le caractère partisan de la désignation a tout fait dérailler.

«Disons qu’en bout de ligne, je n’étais pas surpris que Mme Meilleur se retire, tout simplement parce qu’il y avait tellement de négativité autour de sa nomination. Je pense que lorsqu’on assume un poste de commissaire, il faut avoir une bonne distance avec le gouvernement», a commenté Raymond Théberge.

Le bilinguisme des juges de la Cour suprême du Canada

«Oui, il faut une loi sur les juges bilingues. (…) Si on a une loi, les critères vont être clairement précisés, donc tous ceux et celles qui aspirent à (siéger) à la Cour suprême vont savoir à quels critères répondre», a tranché le commissaire.

Il n’a pas voulu se prononcer sur les projets de loi sur le bilinguisme déposés au fil des ans par le Nouveau Parti démocratique (NPD). Mais il a décoché une flèche à l’intention des libéraux, qualifiant d’«ironique» le fait qu’ils «sont en faveur (lorsqu’ils sont) dans l’opposition».

Raymond Théberge avait semé l’inquiétude en laissant entendre devant un comité parlementaire, en décembre dernier, qu’il ne voyait pas le bilinguisme des juges comme une condition sine qua non à l’embauche. Lors de la deuxième portion de sa comparution, il avait plaidé qu’il s’était «vraiment mal exprimé», et qu’il était «indéniable» que les magistrats du plus haut tribunal au pays devaient obligatoirement maîtriser le français et l’anglais.

L’anglais de Wilson-Raybould pour le juge Wagner

Le commissaire aux langues officielles a été «déçu» que la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, n’ait fait «aucun effort» pour inclure quelques mots en français dans le discours qu’elle a prononcé à la Cour suprême pour souhaiter la bienvenue au Québécois Richard Wagner au poste de juge en chef, lundi passé. Originaire de la Colombie-Britannique, la ministre d’origine autochtone ne parle pas le français. Aurait-il fallu qu’elle s’exprime dans une langue qu’elle ne maîtrise pas pour sauver les apparences? «Je pense que ce qui est important, c’est le message», répond le commissaire Théberge, évoquant l’importance des symboles. «À mon avis, tout gouvernement devrait être engagé envers la dualité des langues officielles, donc des efforts doivent être faits.»

La modernisation de la Loi sur les langues officielles

Entre les enquêtes qu’il pilotera, Raymond Théberge se laisse quelques mois pour entamer un chantier d’envergure: une refonte de la loi.« Il va y avoir une consultation en ligne, et j’espère avoir une position plus formelle à l’automne», a-t-il signalé.

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