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Thérèse Casgrain: la gauchiste en collier de perles

Photo: Yves Provencher/Métro

On la connaît surtout pour son rôle de suffragette. Mais Thérèse Casgrain, en plus d’avoir obtenu le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes au Québec, a mené bien d’autres combats. À la veille de la journée de la Femme, Métro s’est entretenu avec Nicolle Forget, auteure de la biographie de cette féministe des premières heures.

Quels ont été les principaux combats de Thérèse Casgrain?
Fondamentalement, au-delà du droit de vote des femmes, Thérèse se bat contre l’injustice. Elle a combattu en faveur de l’augmentation du salaire des institutrices rurales. Ces femmes qui gagnaient, 100$, parfois 200$ par année. Quand elles partaient à la retraite, elles n’avaient rien. Elle s’est battue pour les droits et libertés. Elle était à la tête de la Ligue des droits de la personne – c’était la ligue des droits de l’homme à l’époque –, et a été une des membres fondateurs de ça.

Elle s’est assurée de faire modifier le code civil. Les femmes qui travaillaient, une fois mariées, n’avaient pas le droit de toucher leur salaire; le mari pouvait en disposer comme il voulait. Elle a aussi organisé des groupes pour que les jeunes femmes s’impliquent avant leur mariage. À son époque, une femme, ça se préparait pour tenir la maison, et ça devait rester là.

Et à partir du milieu des années 1940, elle s’intéresse à la politique de façon plus précise. Elle se présente en 1942 dans la compté que son père avait occupé au départ, que son mari a repris. Elle se présente comme indépendante et est défaite. Elle devient esnuite chef du CCF au Québec, avant que le parti ne devienne le NPD, en 1961. C’est la première femme chef de parti au Québec et au Canada. Et pendant cette période là, elle se présente sept fois comme députée, et elle est défaite chaque fois.

À partir des années 1960, elle participe à beaucoup de mouvements pour la paix. Cette partie-là est moins connue. Ça vient sans doute de son implication pour le CCF, qui l’a amenée à travers le monde, lors des congrès de l’international socialiste. Thérèse a fait campagne pour qu’on reconnaisse la République populaire de Chine.

Elle a manifesté devant l’ONU et l’OTAN, elle a même fait quelques heures de prison à Paris. Et vers la fin de sa vie, elle s’intéresse au dossier des Amérindiennes en perte de statut. Quand une Amérindienne mariait un Blanc, elle perdait son statut et on la mettait hors réserve, ses enfants aussi. Alors, elle essaie de faire changer la loi sur les Indiens. Et elle ne lâche pas. Dans ce dossier-ci, c’est la mort qui l’a arrêtée.

Du milieu très aisé d’où elle est issue, rien ne la destinait à devenir une gauchiste militante…

Non. C’est pour ça que j’ai tenu à décrire au début le milieu d’où elle venait. Cette opulence à Montréal et à la campagne, les voyages en Europe très jeune … Et partie de là, elle a mis ça de côté pour se battre pour ceux qui en avaient besoin.

Je l’ai quand même côtoyée un certain nombre d’années, et je n’avais jamais pensé que j’écrirais sur elle, donc je n’ai pas creusé ce genre de questions, mais pour moi, ça reste un peu un mystère. Je ne sais pas exactement pourquoi. Sans doute qu’un jour, elle a été très choquée par un événement, et elle a décidé que ça n’allait pas se passer comme ça.

Mais c’est aussi de famille. Son père a démissionné pendant la conscription en 1917, et elle-même en 1942, quand elle s’est présentée, elle était contre la conscription. Elle trouve que c’est scandaleux d’envoyer des milliards à l’Angleterre et d’envoyer nos jeunes hommes se faire tuer.
Elle est fondamentalement pour la paix.

Quel genre de femme était-elle?

C’était une femme déterminée et extrêmement têtue. Mais elle avait un sens de l’humour extraordinaire. J’en cite quelques extraits dans mon livre, mais dans la vraie vie, c’était comme ça! Elle avait des histoires un peu salées! Elle était directe, non politically correct, et elle avait aussi ce sens de l’humour.

C’est quelqu’un qui avait une autodérision dont on ne se doute pas quand on la voit sur les photos, où elle a l’air très droite.

Mais en même temps, comme c’est quelqu’un qui disait tout haut ce que plusieurs pensaient tout bas, c’était sûrement très dérangeant. Elle était tenace, coriace, et elle avait des réseaux qui lui permettaient d’avoir des informations que plein d’autres n’avaient pas, ce qui pouvait être frustrant. Et en plus, elle s’en allait droit au but.

Et est-ce qu’il y a des choses qui vous ont surprise durant vos recherches, même si vous la connaissiez?
Je n’avais pas réalisé, à la fin des années 1950, comment elle avait une vision sur le développement du Québec, sur des questions toujours d’actualité. Je cite quelques extraits dans mon livre sur les pages du Devoir de juillet 1959. Thérèse parle du monde de l’éducation. Elle dit qu’on devrait avoir des bourses pour ceux qu’ils n’ont pas les moyens d’aller à l’école, qu’on devrait avoir la gratuité scolaire. Ensuite, elle parle des partis politiques, et elle propose d’imposer un montant maximal en tant que contribution à un parti politique. Elle dit : comme ça, on ne peut pas acheter un parti!

Elle dit aussi que le gouvernement devrait créer une structure de développement économique pour préserver nos ressources naturelles, parce qu’il n’y a qu’un petit nombre qui profite au lieu d’un grand nombre. Alors quand on lit ça aujourd’hui, on se dit que c’est exactement ça!

Et elle se bat aussi pour l’équité salariale, un dossier qui n’est toujours pas réglé…
Oui! En 1933, elle se bat pour : salaire égal, travail égal! Et elle définit ce que ça veut dire. C’est vraiment fascinant! Cette femme était d’avant-garde, très moderne, et c’est certain que le milieu n’était pas capable d’accepter ça. Et au fond, elle remercie son père, mais elle remercie aussi son mari, qui s’est fait railler par plein de gens. Il se faisait dire : «tiens la donc, ta femme, rentre-la à la maison». Et on disait : «la mère Casgrain, la folle à Casgrain». Et de son mari, on disait qu’il était juste un mou, pas capable de la tenir et de la faire taire. C’est sûr que s’il avait essayé, je ne crois pas que ç’aurait marché. Il savait qui elle était.

Mais c’est très fragile, tous ces droits là. On le voit pour la question de l’égalité salariale. On en a des législations, et ce n’est pas vrai que les femmes gagnent les mêmes revenus sur les mêmes fonctions. Et ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas capables, c’est que culturellement, on n’arrive pas à se sortir de ça. D’où l’admiration qu’on peut avoir pour Thérèse, qui est partie d’aussi loin pour être capable d’avoir cette stature, qui incarnait au fond des réformes, qui ont mis des décennies – j’ai le goût de dire des siècles! – à arriver!

Si Thérèse Casgrain était encore en vie, quels seraient ses combats?
Elle continuerait ses combats pour la justice, et elle en aurait des quantités abondantes! Par exemple, ces passe-droit pour les garderies. Thérèse voulait des garderies même pour les femmes qui n’allaient pas travailler à plein temps, durant les années 1930. C’est fort pour l’époque. Donc, de nos jours, qu’il n’y en ait pas pour tout le monde et qu’il y en ait des privées et des non privées, je suis certaine qu’elle aurait combattu ça.

Elle aurait insisté pour que l’éducation des jeunes filles soit plus forte quant à leurs droits. On n’enseigne plus rien de ça à l’école. On n’enseigne même plus l’histoire, alors…

Elle serait contre les armements nucléaires dans le monde, contre les guerres, contre l’effort de guerre du Canada.

Elle continuerait de faire des démarches pour faire modifier la loi sur les Indiens, elle voulait que cette loi n’existe plus. Elle aurait été à Idle no more, et probablement qu’elle aurait fait partie aussi du mouvement des Indignés.

Je ne crois pas qu’elle aurait marché avec les carrés rouges; elle était pour l’éducation, mais elle aurait trouvé d’autres moyens, parce qu’elle n’aurait pas accepté que ça finisse avec des saccages, même si ce n’est pas l’intention première. Mais elle aurait fait des démarches terribles pour qu’on arrive à rendre possible l’éducation pour ceux qui en ont besoin, comme elle le disait. La gratuité pour ceux qui en ont besoin. Alors elle aurait peut-être été favorable à des examens d’admission sérieux, peut-être une université d’État, où ça serait ouvert à tout le monde. Mais certainement qu’elle se serait assurée que les gens qui risquaient d’être défavorisés faute de moyens obtiennent les moyens d’aller à l’école. Probablement parce qu’elle était favorisée. Et qu’elle n’a pas pu faire des études, mais ce n’était pas faute de moyens, c’était faute d’approche sociale et d’éducation.

Thérèse Casgrain – La gauchiste en collier de perles
Nicolle Forget
Éditions Fides
En librairie vendredi

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