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Mon coach, Monsieur X

Au hockey, une pénalité mineure dure deux minutes. La semaine dernière, l’ancien instructeur de niveau junior Graham James a reçu une sentence de deux ans de prison pour avoir agressé sexuellement des jeunes joueurs alors qu’il était en position d’autorité. Deux ans pour avoir brisé des vies, c’est à peu près l’équivalent de purger deux minutes au banc des punitions. Une pénalité bien mineure…

Tous les entraîneurs ne sont pas des Graham James. Mais des Graham James en puissance qui font des power trips sur des jeunes, il y en aura toujours. Heureusement, tous n’atteignent pas le niveau d’écœuranterie de ce répugnant personnage, mais combien de fois avons-nous vu aller un bénévole «plein d’attentions» sans trop deviner ses intentions réelles?

Ça m’a rappelé une histoire que j’avais gardée, depuis longtemps, profondément enfouie dans ma mémoire. Pour tout dire, c’est la première fois que je la raconte. Je devais avoir 10 ans. Peut-être moins. Aux loisirs de ma paroisse, il y avait un coach de hockey un peu terrorisant sur les bords. Un air bête qui avait une job plate la semaine, mais qui aplanissait ses
frustrations en devenant un king d’aréna le week-end. Appelons-le Monsieur X.

Parfois, il nous réunissait dans une salle du sous-sol de l’église pour nous parler «dans le blanc des yeux». C’était son expression. Pas pour nous faire des menaces, bien sûr que non, mais pour nous exposer sa conception des vraies affaires. Pour nous annoncer, par exemple, que la saison suivante, on allait couper des équipes dans la paroisse. Que plusieurs d’entre nous en seraient donc réduits à jouer en bottes dans la ruelle. Que, pour espérer garder notre place, on avait intérêt à suivre religieusement ses enseignements. Et surtout, qu’on devait se tenir le corps droit et les fesses molles, comme il le disait. Tout le monde se mettait à rire. Certains plus nerveusement que d’autres. Malgré sa face de beu, Monsieur X savait déclencher l’hilarité. Je rentrais ensuite à la maison, rongé par la perspective d’être exclu du groupe. Une catastrophe pour un enfant. D’autres devaient être aussi inquiets que moi. Enfin, j’imagine…

Quand Monsieur X appelait chez moi, pour me convoquer à une pratique ou à une autre rencontre de groupe, il demandait toujours à me parler directement. Il aurait pu s’adresser à mes parents, mais non. Dans son équipe, il voulait des hommes, et des hommes, ça se parle d’égal à égal. Je n’avais pas 10 ans, je le rappelle…

Quand c’est moi qui décrochais le téléphone, il arrivait fréquemment qu’à l’autre bout de la ligne, un vicieux chuchote des cochoncetés. Bizarre, l’inconnu avait presque la même voix que Monsieur X. Était-ce le même homme?

On est à même de croire ce qu’on veut…

Un bon matin, Monsieur X a été renvoyé des loisirs de ma paroisse. Du jour au lendemain, zap! On n’a jamais trop su pourquoi. Peu de temps après, on a appris son décès. Par un troublant effet du hasard, je n’ai plus jamais reçu d’appels de la part du monsieur cochon dont la voix ressemblait tant à celle de Monsieur X.

Je ne dis pas que Monsieur X serait éventuellement allé aussi loin que Graham James, son suicide nous ayant interdit à jamais de suivre sa progression. Ce que je sais par exemple, c’est que cette histoire m’habite encore presque 40 ans plus tard. J’ose à peine imaginer comment les victimes de Graham James vivent avec leurs horribles souvenirs.

Deux ans de prison pour ce qu’ils ont vécu, on appelle ça une pénalité mineure pour grossière inconduite. La justice n’a pas de cœur ni de mémoire. Chanceuse, va… 

– Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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