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Que fait-on de notre eau?

Photo: Hydro-Québec

Les Québé­cois se sont souvent prononcés férocement contre des projets de vente et d’exportation de l’eau, vue comme une richesse nationale. Toutefois, ils sont peu au courant des dérivations et des transferts massifs d’eau qui ont lieu directement sur leur territoire.

Conçus pour augmenter les volumes d’eau pour la production hydroélectrique, les transferts d’eau ont des impacts sur les rivières, qui sont parfois dérivées à la hauteur de 90 %. Plusieurs experts sont préoccupés par ces détournements multiples, qui ont lieu dans le nord de la province, où peu de gens peuvent en observer les effets à long terme sur l’écosystème.

La question de la gestion de notre eau refera certainement surface durant les consultations publiques sur les enjeux énergétiques du Québec, qui se déroulent jusqu’au 11 octobre, croit Nicolas Boisclair. Ce dernier a coréalisé Chercher le courant, un documentaire où on découvre la rivière Romaine avant qu’on y construise quatre barrages hydroélectriques, dont l’utilisation devrait commencer vers 2020. Selon M. Boisclair, les impacts environnementaux et sociaux des projets de dérivation sont méconnus du grand public, et il profitera de cette tribune pour en discuter.

Le directeur de l’Observatoire de recherches internationales sur l’eau, Frédéric Lasserre, partage cette opinion. Il estime que la plupart d’entre nous saisissent mal l’ampleur de ces dérivations. «Peu de gens savent que le Canada est le pays au monde qui effectue le plus grand nombre de transferts d’eau entre les bassins», lance ce spécialiste de l’Université Laval.

Certaines rivières dérivées s’assèchent ou se transforment en lacs, alors que d’autres voient leur débit devenir si puissant que plusieurs kilomètres de forêts disparaissent sous l’eau. «Quand on perturbe autant les débits, c’est sûr qu’on crée des changements irréversibles de l’environnement», soutient M. Lasserre.

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Du côté d’Hydro-Québec, on reconnaît que tout projet éner­gétique a un impact environnemental. Toutefois, aucune rivière n’est dérivée sans que des spécialistes évaluent les effets potentiels sur le territoire, précise Gary Sutherland, directeur des affai­res publiques de la société d’État. «Pour chaque dérivation, plusieurs centai­nes de mesures sont prises pour en atténuer les impacts», assure-t-il. Par exemple, dans le cas de la rivière Rupert, dont 70 % du volume a été détourné vers le nord, Hydro-Québec relâche de l’eau dans la rivière au printemps. Cela a pour but d’imiter la crue naturelle des eaux et permet de faciliter la navigation et la pêche. «De plus, afin d’atténuer la perte d’habitat des poissons, des sites de reproduction sont instaurés dans des rivières adjacentes», ajoute M. Sutherland.

Les connaissances scientifiques et les méthodes d’atté­nuation s’améliorent à chaque nouveau projet, poursuit-il. «Ce n’est pas pour rien que l’hydroélectricité jouit d’une forte acceptabilité sociale», ajoute-t-il. Selon lui, les Québécois préfèrent que l’eau demeure sur leur territoire et soit utilisée pour faire de l’électricité, plutôt que d’être exportée à l’étranger.

Les projets hydroélectri­ques ne suscitent pas tant de craintes, car ils se déroulent dans des zones éloignées et peu peuplées, observe Charles-Antoine Drolet, vice-président de Nature Québec. Pourtant, de nombreuses communautés, surtout autochtones, souffrent de ces projets, dit cet homme qui a longtemps travaillé dans le nord de la province. «Lorsqu’on a détourné le fleuve Churchill, les poissons ont été affectés par la hausse de mercure dans l’eau et sont devenus impropres à la consommation, alors qu’ils étaient la source de revenus et d’alimentation principale des Cris», raconte M. Drolet. Cette contamination au mercure est un des facteurs qui ont affecté les habitudes alimentaires des Cris, dont 50 % souffrent de diabète et encore plus ont des problèmes d’obésité, soutient-il.

Il faut se documenter davantage sur les effets cumulés des dérivations de rivières, car les projets hydroélectriques se multiplient, avance M. Drolet. Selon ce biologiste, les scientifiques indépendants peinent à recevoir du financement pour mener des recherches, alors que celles-ci sont cruciales pour offrir un portrait plus neutre de la situation.

Dérivations
Pourcentage de dérivation des cours d’eau, selon les données recueillies par Frédéric Lasserre.

  • Eastmain : dérivée à 90 %
  • Manouane : dérivée à 76 %
  • Sault-aux-Cochons : dérivée à 85 %
  • Portneuf : dérivée à 73 %

Vente d’eau: un scénario encore fictif
S’il y a bien un mythe à briser, selon le spécialiste de l’eau Frédéric Lasserre, c’est l’idée que le Canada risque de vendre ou de transférer son eau aux Américains. Certes, ce scénario a déjà été sérieusement envisagé dans les années 1960, période où les industries et les agriculteurs de l’Ouest américain connaissaient une crise d’approvisionnement en eau. Toutefois, il n’a jamais été réalisé. Les raisons en sont simples : l’eau est lourde, et la transporter sur de longues distances demande beaucoup d’énergie et coûte très cher. Les gouvernements, endettés, ont compris qu’une meilleure gestion de l’eau – même un dessalement de l’eau de mer – est plus rentable que de s’aventurer dans des projets gigantesques de transfert d’eau. Malgré tout, quelques lobbyistes, comme l’Institut économique de Montréal, ne lâchent pas prise, martelant que le pays pourrait faire fortune avec la vente de son eau.

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