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Maïr Verthuy: elle ne savait pas que c'était impossible, alors elle l'a fait

À l’occasion de la Journée de la femme, Métro s’est entretenu avec celle qui a cofondé l’institut Simone de Beauvoir, à l’Université Concordia, et qui l’a dirigé de 1978 à 1983.

Maïr Verthuy admet qu’elle était naïve. Naïve de croire que tous les êtres humains étaient égaux et qu’elle pouvait enseigner à l’université. Cette femme originaire de Grande-Bretagne, aujourd’hui âgée de 80 ans, est arrivée à Montréal en 1965. Elle affirme que ce sont le Québec et l’université qui ont fait d’elle une féministe militante.

Comment êtes-vous devenue féministe?

J’ai toujours lutté contre les injustices. Je suis née au pays de Galles, dans une famille pauvre et très politisée. Mon père était sur la liste noire, c’est-à-dire qu’il n’était pas employable en raison de ses activités militantes. Ma mère travaillait, et mes frères avaient abandonné l’école pour travailler. Je suis la première de ma famille à avoir fait des études. J’ai étudié les langues à l’Université de Londres, et mes professeures étaient des femmes qui avaient été parmi les premières à avoir été admises à Oxford ou à Cambridge.

Pourquoi le Québec et l’université ont-ils fait de vous une féministe militante?

La situation des femmes au Québec était effarante. Un jour, j’ai dû emmener ma fille à l’hôpital, et j’ai appris que je ne pouvais la faire admettre sans la signature du père, mon mari, qui était alors en voyage d’affaires! En outre, il fallait la signature de mon mari pour ouvrir un compte bancaire en 1965…

Vous avez pourtant été embauchée comme professeure à Sir George Williams [l’Université Concordia]?
Justement. J’étais sidérée de constater que j’étais la première et la seule femme à être professeure «régulière» en études françaises. Encore plus sidérée de constater que les femmes ne figuraient pour ainsi dire pas dans nos programmes. L’ancien directeur, celui qui m’avait embauchée, m’avait d’ailleurs dit : «S’il y avait eu un homme avec vos qualifications et votre expérience, c’est lui que j’aurais embauché.» On a eu un nouveau directeur l’année suivante, et pendant trois ans, il a essayé de me congédier. Tous les collègues le soutenaient, sauf deux.

Je ne m’étais pas rendu compte à l’époque que c’était tellement choquant que je prenne la parole. Je pensais que si je faisais remarquer au directeur qu’il n’y avait pas de femme dans les cours ou le département, il serait heureux de l’apprendre! Un collègue qui faisait des avances à ses étudiantes m’a dit que si je n’avais pas été là, ses étudiantes ne l’auraient pas dénoncé. Je n’y étais pour rien. J’étais d’une naïveté absolue parce que je n’avais jamais fait face à ce genre de conduite.

Comment est né l’Institut Simone de Beauvoir?

Il est né de la fusion du collège Loyola et de l’université Sir George Williams, fusion qui a donné naissance à l’Université Concordia. Depuis 1970, Sir George offrait les premiers cours en études des femmes. Après la fusion, en 1974, le corps étudiant était immense. L’administration s’en inquiétait et a décidé d’autoriser la création de mini-institutions, de «collèges», à l’intérieur de la Faculté des arts et sciences. Le premier à être créé a été celui des «arts libéraux». Le deuxième a été l’Institut Simone de Beauvoir, en 1978, le lendemain de la Journée internationale de la femme. J’en suis devenue la première directrice. J’aurais préféré qu’il porte le nom de Thérèse Casgrain ou de Idola Saint-Jean, deux Canadiennes qui ont fait beaucoup pour l’éducation des femmes, mais j’ai perdu le vote.

Quelle a été la réaction des Québécois?
Les francophones étaient très enthousiastes, car ils n’avaient pas beaucoup de cours sur les femmes dans leurs universités. Nous avions plusieurs étudiantes francophones, dont Simone Monet-Chartrand, et même des hommes. C’était une période assez extraordinaire, il y avait une sorte de liesse à l’Institut et au Québec.

Si vous arriviez au Québec en 2012, quelle serait votre réaction?
Je serais ravie! Bien qu’on commence à perdre du terrain. Harper coupe dans les budgets des femmes d’un bout à l’autre du pays. Il a réduit le nombre de femmes au Sénat. Il faut dire que l’histoire a été très compressée au Québec. En 1965, c’était catholique comme ce n’était pas permis. C’est allé très vite. Beaucoup de gens ont eu du mal à suivre.

Quels sont les défis des femmes, aujourd’hui?

Je pense que l’éducation manque. Les jeunes filles ne sont pas féministes, car elles n’ont pas encore vécu. Une fois à l’extérieur, sur le marché du travail, elles constatent qu’elles sont moins payées que les hommes, etc. Ça reste un monde masculin. Il faut enseigner aux jeunes l’histoire des rapports hommes-femmes et de la sexualité.

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Francophones: moins féministes?
Les études féministes ont d’abord été investies par le Canada anglais et les États-Unis, au début des années 1970. Il est donc logique que les anglophones soient à l’origine de l’Institut Simone de Beauvoir. Mais les francophones ont peut-être raté le coche. À son arrivée, Maïr Verthuy, qui était mariée à un Français et avait poursuivi ses études en France, a téléphoné au cercle francophone des femmes diplômées d’université.

«Elles me prenaient pour une Française, mais lorsque j’ai avoué que je n’étais pas née en France, elles m’ont renvoyée vers le cercle anglophone!» se rappelle-t-elle. Elle s’est donc jointe à l’Université Sir George Williams, à qui revient l’honneur de la création de l’Institut. «L’élite francophone était plus conservatrice en 1965», ajoute Mme Verthuy. Par ailleurs, les francophones ne comprenaient pas l’importance des Instituts dans le système universitaire. Si l’UQAM proposait quelques cours sur les femmes, elle refusait de créer un programme ou un institut de peur de ghettoïser les études féministes.

Aujourd’hui, l’UQAM, l’Université de Montréal et l’Université de Sherbrooke ont tous leur programme, Institut ou groupe de recherche sur les femmes.

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Des femmes interpellent Charest 
À quelques semaines du dépôt du budget, le Collectif 8 mars a demandé mercredi au premier ministre du Québec, Jean Charest, de passer aux actes en matière d’égalité des sexes. Le collectif veut s’assurer que le budget tienne compte des besoins des femmes et de l’impact de certaines mesures.

La hausse des droits de scolarité en est un exemple. «En moyenne, une femme gagnera 863 268 $ de moins qu’un homme titulaire du même diplôme, au cours de sa vie», a indiqué Alexa Conradi, porte-parole du collectif. Les femmes mettront donc plus de temps à rembourser leurs prêts. «Cette décision n’a pas tenu compte de l’objectif de l’égalité», a-t-elle ajouté.  

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