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Nefertari Bélizaire: «Le viol, c’est une arme de destruction massive»

Photo: Alexandre Ducasse

Avec Cru, son premier roman, court et douloureux comme un coup de poing, Nefertari Bélizaire revient sur «son passé sombre», marqué par les agressions à répétition de son parrain. Et histoire de se libérer, enfin, l’auteure et actrice qué­bécoise d’origine haïtienne retourne dans son pays natal afin de remettre son livre à celui qui a pensé la briser. Pour «reprendre son pouvoir». Pour «libérer son âme».

Dans Cru, vous écrivez avoir raconté cette histoire et l’avoir remise à votre parrain et agresseur afin de vous en libérer. L’avez-vous racontée également pour que d’autres puissent s’y reconnaître et y trouver de l’espoir? Car tristement, à la fin, vous dressez ce terrible constat: «Mon histoire n’a rien d’exceptionnel»…
Oui… et on l’a vu dans les dernières semaines, avec tout ce qui s’est passé… Ça m’a beaucoup troublée. Cette histoire s’inscrit dans une globalité. Pour moi, les viols de femmes et d’enfants, c’est – et c’est une expression qui est importante pour moi – une arme de destruction massive. Ce sont des blessures spirituelles, des blessures du cœur, des blessures physiques. C’est tout l’être qui est attaqué.

Vous parlez de cicatrices spirituelles. Vous écrivez: «Aujourd’hui encore, je ne sais pas si je suis guérie. Peut-être ne guérirai-je jamais. C’est une blessure pour toute la vie, une blessure spirituelle.» Le lien avec la religion, dans votre cas, était très important, [votre parrain l’employant pour vous manipuler, pour justifier ses actes], complexifiant d’autant plus cette idée de «faute» dont vous avez mis du temps à vous défaire, n’est-ce pas?
C’est la perversité de la manipulation. Se servir de la spiritualité pour infliger des sévices, des traumatismes. C’est… c’est tout ça que ça englobe quand je dis «arme de destruction massive». C’est massif dans la vie de la personne qui le vit et c’est horrible sur le plan de notre société, des sociétés en général. Les trois, quatre phrases de la fin sont arrivées beaucoup plus tard, avec de la réflexion. Dire que c’est «un crime contre l’humanité», c’est une prise de position qui s’est confirmée, qui continue de se manifester.

Vous dites au départ vouloir «traquer, poursuivre, écraser» [votre parrain et agresseur]. Et c’est vraiment avec votre plume que vous faites ces actions. Avez-vous senti toute la force de frappe qu’ont les mots? Leur puissance?
Oui, mais en même temps, je m’étonnais moi-même d’employer ces mots-là… Après, je me suis dit: si tu as employé ces mots, c’est parce qu’ils existent. Souvent, il y a des mots comme ça que je connaissais, que je connais, mais qui, à travers les événements [de l’existence], prennent tout leur sens. Un sens qui m’était caché.

«Les survivantes portent un tel sentiment de responsabilité, de culpabilité… Mais nous ne sommes pas responsables de cette violence envers nous. Nous ne sommes coupables de rien.» – Nefertari Bélizaire

Votre livre est paru un mois avant que l’affaire Ghomeshi éclate. Depuis, il y a eu le lancement de la campagne #BeenRapedNeverReported, #AgressionNonDénoncée. Comment avez-vous vécu ces événements?
Disons que… [avec des] mixed feelings, avec une certaine ambivalence. Voir, entendre, lire – et je l’ai écrit aussi – que mon histoire n’est pas exceptionnelle, et en même temps, voir, entendre, ressentir toute cette souffrance des femmes, ce silence qui est brisé… Et sentir que les hommes sont touchés par ça… Pour moi, c’est évident qu’il n’y aura pas de changements dans les sociétés si les hommes ne sont pas impliqués. C’est comme ça que les choses peuvent changer, que des lois vont être appliquées, qu’on va se dire comme communauté humaine qu’il y a des choses que nous refusons d’accepter.

Cette libération de la parole sur les réseaux sociaux, elle vous a donné espoir?
Oui. Et je crois que les survivantes ont énormément besoin d’espoir. À tous les jours. Des fois, on a le cœur plus léger, mais la plupart du temps, c’est quand même une tristesse qu’on porte en soi. J’espère qu’on n’oubliera pas tout ça au bout d’un mois. J’espère que c’est une prise de conscience de la communauté humaine.

Nefertari Bélizaire CruCru
Éditions Lemeac
Au Salon du livre (stand 146)
Samedi de 17h à 18h et dimanche de 16h à 17h

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