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Elizabeth Plank: «Les femmes se battent encore pour les mêmes choses»

Photo: Getty

La journaliste Elizabeth Plank croit que les médias sociaux et le discours de certaines célébrités ont donné un coup de pouce au mouvement féministe. Mais cette Québécoise installée à New York est consciente qu’il reste beaucoup de travail à abattre et affirme que même l’élection de Hillary Clinton ne règlerait pas les choses.

On vous décrit comme la voix féministe de la génération Y. Est-ce que les jeunes parlent assez de féminisme?
D’abord, je n’aime pas me faire appeler «la voix d’une génération». Le but du féminisme, c’est d’unir les voix, et non de n’en faire entendre qu’une seule. Cela dit, je trouve que nous vivons une époque stimulante. Il y a davantage de place pour les femmes, oui, et il y en a aussi davantage pour le féminisme. On entend moins souvent qu’avant la phrase: «Je ne suis pas féministe, mais…» Les femmes embrassent la cause plus naturellement.

On voit un nouveau féminisme aujourd’hui avec des porte-parole comme Beyoncé, Emma Watson, Taylor Swift… Pourtant, ces mêmes idoles se laissent parfois prendre au jeu de leurs industries, qui sont loin d’être sensibles aux discours féministes…
C’est vrai. Mais ces femmes sont des célébrités. Leur travail, c’est d’abord de nous divertir. On leur en met parfois beaucoup sur les épaules. Il faut applaudir quand elles sont capables d’utiliser leur plateforme pour exprimer ce que le féminisme veut dire pour elles, même si on croit que le message est trop simple ou qu’il ne va pas assez loin. Elles touchent une jeune génération qui n’aurait jamais pensé s’identifier au féminisme, ni même s’y intéresser. On parle tellement souvent des célébrités pour leurs frasques; il est nécessaire de souligner ceux et celles qui ont une influence bénéfique.

Par rapport à Beyoncé et à son image, vous avez écrit qu’elle n’avait pas à choisir entre le féminisme et sa sexualité…
Tout à fait. On ne demanderait à aucune célébrité masculine de faire ce choix. On ne dit pas à Chris Brown: «Tu enlèves ton chandail ou tu chantes, mais tu ne peux pas faire les deux!» Le problème, ce n’est pas le bikini que porte Beyoncé ou son déhanchement, mais bien notre réaction par rapport à ces images. Peut-on être féministe et se déhancher comme Nicki Minaj sur scène? Quand nous serons dans un monde où les hommes et les femmes seront réellement égaux, nous ne nous poserons plus ces questions-là.

Vous travaillez aux États-Unis. Est-ce parce qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire en matière de féminisme dans ce pays?
Énormément. Il y a quatre ans, j’ai fait un stage à Washington. C’était juste après l’élection de 2010, où les républicains avaient pris le contrôle du Congrès et tentaient de faire adopter des lois radicales, surtout sur les questions touchant les femmes. Je me croyais dans un pays en voie de développement. En regardant des photos de manifestations féministes d’il y a 50 ou 60 ans, on remarque qu’on pourrait garder aujourd’hui les mêmes mots sur les pancartes… On se bat encore pour les mêmes choses.

Les Américains sont-ils prêts pour Hillary Clinton en 2016?
Je pense que oui… Mais il y a encore beaucoup de notions préconçues par rapport à l’image qu’on se fait du politicien. Est-ce que l’arrivée d’Obama a changé les choses sur le plan de la justice raciale? Pas vraiment. Si Hillary Clinton se fait élire, je ne crois pas que ça va avoir une grande incidence sur le féminisme. Il y a encore du sexisme dans la couverture médiatique. On se demande si Hillary pourra être à la fois grand-mère et présidente. Mitt Romney avait 17 petits-enfants [22 aujourd’hui], et on ne lui a jamais posé la question… Heureusement, ce genre d’analyse est de moins en moins acceptable. Parce que les gens répondent rapidement sur les médias sociaux.

Vous dites que les femmes sont particulièrement douées sur les médias sociaux. Croyez-vous qu’elles gagnent du pouvoir grâce à Twitter et compagnie?
Oui. Et ça me donne beaucoup d’espoir. Par exemple, quand le chef de la direction de Lululemon a tenu des propos dégradants sur le corps des femmes, il y a immédiatement eu une réponse sur les médias sociaux. Les politiciens ont d’ailleurs très peur de ce type de réactions. Ils ne peuvent plus aujourd’hui s’en tirer en affirmant des sottises comme Todd Akin l’avait fait en parlant de «viol véritable».

Pour un article, vous avez demandé à vos collègues masculins de dessiner un vagin. Pourquoi?
J’ai choisi une méthode ludique afin de parler d’un problème plus grand: le fait que les décideurs sont souvent des hommes qui ne connaissent pas toujours le corps féminin, mais qui votent des lois sur la santé des femmes, sur l’avortement. L’information, c’est important, mais si tu ne la rends pas intéressante, tu vas rejoindre toujours les mêmes personnes qui, souvent, sont déjà sensibilisées.

Comment parvenir à augmenter la diversité dans les lieux où les décisions se prennent?
Des études démontrent qu’au début du primaire, il y a une proportion égale de filles et de garçons qui souhaitent être le président des États-Unis. Mais quelques années plus tard, ça chute dramatiquement chez les filles. Est-ce parce qu’il n’y a pas assez de modèles? Il faut, par exemple, penser à la représentativité dans les médias, à la télévision, au cinéma… Les histoires politiques s’attardent presque toujours aux hommes. Si les hommes blancs aident toujours les hommes blancs à monter dans la hiérarchie, on n’aura jamais de méritocratie. On n’est pas dans une démocratie quand une petite partie de la population prend des décisions pour tout le monde.

Bio
Elizabeth Plank en quelques détails:

  • Âge : 27 ans
  • Origine : Québécoise, elle habite désormais New York
  • Poste : rédactrice en chef du site mic.com et collaboratrice à plusieurs médias, dont MSNBC
  • Réalisation : nommée en janvier parmi les personnalités de moins de 30 ans à surveiller par le magazine Forbes.

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