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Syrie: Ottawa «tombe dans le piège» d'el-Assad

OTTAWA – Le Canada «tombe dans le piège» de Bachar el-Assad en étendant à la Syrie sa mission militaire contre le groupe armé État islamique (ÉI), prévient l’opposition à Ottawa, qui s’interroge par ailleurs sur la légalité de la démarche en matière de droit international.

Le premier ministre Stephen Harper a plaidé la cause en faveur de la prolongation et de l’expansion de la mission canadienne, mardi, confirmant que celle-ci se transporterait en Syrie pour une durée pouvant aller jusqu’à un an.

Dans son discours aux Communes, il a insisté sur l’importance de déborder de la frontière irakienne pour étendre les bombardements aériens au territoire syrien, où se trouve la capitale autoproclamée du «soi-disant califat», Raqqa.

«Les combattants de l’ÉI et une grande partie de son équipement lourd passent librement la frontière irakienne jusqu’en Syrie en partie pour s’assurer une meilleure protection contre nos frappes aériennes. Nous croyons que l’ÉI ne devrait plus pouvoir trouver refuge en Syrie», a-t-il dit.

Et le gouvernement Harper mènera ces frappes sans chercher à obtenir le «consentement explicite» de Bachar el-Assad, à l’instar de ce que font entre autres les États-Unis, a soutenu le premier ministre.

Son plaidoyer n’a pas convaincu les partis d’opposition.

Car le nouveau chapitre syrien qui va s’ouvrir en vertu de la motion est excessivement périlleux, redoutent le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti libéral du Canada (PLC).

Le chef néo-démocrate Thomas Mulcair a affirmé qu’une intervention militaire en Syrie allait «aider le régime syrien» et son controversé président, un «dictateur de la pire espèce, un criminel de guerre qui cible sa propre population avec des armes chimiques».

Son porte-parole en matière d’affaires étrangères, Paul Dewar, a plus tard accusé le gouvernement de se laisser berner par l’homme fort de Damas, sous qui un soulèvement populaire a fini par se transformer en sanglante guerre civile.

«El-Assad tend un piège et on tombe directement dedans», a-t-il laissé tomber en point de presse.

«On a entendu au comité des affaires étrangères des experts nous décrire comment el-Assad instrumentalise l’ÉI pour servir ses propres intérêts. Il a permis à l’ÉI d’entrer là où l’Armée syrienne libre (opposée à son régime) était implantée», a déploré M. Dewar.

Le PLC nourrit aussi de sérieuses inquiétudes concernant les bombardements qui seront menés dans le ciel syrien. Ceux-ci pourraient «très bien consolider le pouvoir d’el-Assad en Syrie», a prévenu le chef de la formation politique, Justin Trudeau.

Et c’est sans compter que l’on ignore exactement quelles sont les assises juridiques qui assureraient la légalité d’une telle campagne, estiment les deux partis d’opposition.

Le seul élément de réponse fourni par le gouvernement est que les frappes se feront «sur les mêmes bases juridiques et opérationnelles que ses alliés», soit la menace que représente l’ÉI pour l’Irak, les pays membres de la coalition et le Canada, ont tour à tour plaidé en Chambre le premier ministre Harper et son ministre des Affaires étrangères, Rob Nicholson.

L’argumentaire des conservateurs a irrité Thomas Mulcair.

«On ne peut se cacher derrière les actions de quelqu’un d’autre! Il est question du Canada ici», a-t-il martelé pendant la période des questions.

Ce à quoi M. Harper a répondu que Damas «n’a ni la volonté, ni la capacité, d’empêcher l’État islamique de faire des opérations ou de perpétrer des attaques, incluant» au Canada.

Les explications mises de l’avant par le gouvernement au chapitre de la légalité de la démarche ne convainquent pas non plus Harith Al-Dabbagh, professeur de droit à l’Université de Montréal, qui se spécialise dans les systèmes juridiques des pays arabo-musulmans.

«C’est un peu une justification par ricochet. (…) Est-ce qu’elle tient au niveau du droit international? Je n’en suis pas sûr», a-t-il suggéré en entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne.

Il reconnaît néanmoins qu’il s’agit d’une situation «très ambiguë», puisque l’on parle d’une «guerre interne» que les pays de la coalition internationale présentent par contre comme une menace à la paix et à la sécurité internationale, comme en témoigne le discours du gouvernement Harper.

Or, «si c’est un conflit qui menace la paix et la sécurité internationale, l’usage de la force doit être autorisé par le Conseil de sécurité, par les instances internationales, ce qui n’est pas le cas ici», a fait remarquer M. Al-Dabbagh.

L’opposition du NPD et du PLC n’empêchera pas le gouvernement d’aller de l’avant — les troupes de Stephen Harper n’ont besoin ni de leur appui, ni de celui de la Chambre des communes afin de poursuivre le déploiement militaire dans la région.

Les députés débattront tout de même de la motion à compter de jeudi au Parlement.

Mais déjà, néo-démocrates et libéraux ont largement exprimé leurs doléances, qui s’apparentent à celles que l’on avait entendues en octobre dernier, lors de la discussion sur la mission initiale d’une durée de six mois.

L’opposition estime notamment que le Canada devrait accorder plus d’importance à l’aide humanitaire pour les victimes de l’ÉI et les réfugiés de la région.

Le premier ministre Harper a cependant soutenu pendant son discours que «nous n’avons pas à choisir entre lutter contre le soi-disant État islamique et aider ses victimes».

La motion, déposée par le gouvernement, réitère qu’il n’est pas question d’envoyer des troupes de combat au sol.

En plus des six CF-18, de deux appareils de surveillance, d’un avion de ravitaillement et de 600 soldats canadiens qui participent aux bombardements du haut des airs, une soixantaine de militaires canadiens sont au sol en Irak.

Leur mission officielle est de former et conseiller l’armée irakienne et les combattants kurdes dans leur lutte contre l’ÉI.

Or, les soldats canadiens ont essuyé des tirs de l’ÉI et un militaire canadien, Andrew Doiron, a été tué, par erreur, par les Kurdes, à quelques mètres de la ligne de front.

L’opposition n’a pas manqué de le rappeler, accusant le gouvernement de faire preuve d’opacité à l’égard des Canadiens lorsque vient le temps de rendre des comptes sur cette mission.

Et si le NPD prend le pouvoir à l’issue du scrutin prévu le 19 octobre, il rapatriera les troupes canadiennes, a de nouveau promis Thomas Mulcair.

Les néo-démocrates n’ont pas précisé à quel moment ils rappelleraient les membres des Forces armées canadiennes dans l’éventualité d’une victoire électorale.

De son côté, le PLC a refusé de prendre un tel engagement.

La porte-parole libérale en matière de défense, Joyce Murray, a commencé par dire qu’un éventuel gouvernement du PLC serait lié par la décision du Parlement — ce qui est inexact — avant de se raviser et de plaider que tout cela n’était que spéculation.

«Une fois que cette mission sera terminée, nous prendrions une approche très différente», s’est-elle contentée d’offrir.

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