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Pierre Céré: «Le PQ n’est plus en phase avec le Québec d’aujourd’hui»

Pierre Céré
Le porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses, Pierre Céré. Photo: Anicée Lejeune/Métro

À quelques semaines de l’élection du nouveau chef du Parti québécois (PQ), Métro a rencontré chacun des quatre candidats: Pierre Céré, Alexandre Cloutier, Martine Ouellet et Pierre Karl Péladeau. Jusqu’à vendredi, les entrevues seront publiées dans l’ordre alphabétique.

CV de Pierre Céré

  • Âge: 56 ans
  • Métier: porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses et coordonnateur du Comité chômage Montréal
  • Études: formation en histoire, autodidacte de la politique
  • Mentor: Jean Daniel, essayiste français et fondateur du Nouvel Observateur

Depuis le début de cette course, vous agissez un peu comme la conscience du Parti québécois, en forçant les candidats à se poser des questions «existentielles». Le PQ et ses membres sont-ils prêts à faire cet exercice-là?
Difficilement. Ça dépend des régions. Ce que j’ai constaté sur le terrain, c’est que le parti vieillit terriblement. Dans certaines assemblées, ce ne sont que des personnes âgées. Il y a même un endroit où, très sérieusement, quelqu’un se demandait si la diminution du membership était causée par une hausse de la mortalité… J’en suis arrivé à me demander: «Qu’est-ce qu’on a fait pour que nos enfants ne soient pas ici avec nous aujourd’hui?» C’est un véritable problème. La vieille génération porte le sentiment d’échec de 1980 et de 1995, celui du grand rêve inachevé de devenir un pays. Et là, alors qu’un «sauveur» survient, il ne faudrait pas faire trop de débats… Il y a des ouvertures à certains endroits mais, de façon générale, on préfère mettre le couvercle sur la marmite.

L’épisode de la charte des valeurs va-t-il nuire longtemps à l’image du parti?
Oui, et je ne suis pas sûr que c’est réparable. Le PQ doit accepter de mettre fin à son virage identitaire et comprendre que le projet de pays se conjugue avec tout le monde sur notre territoire. Avec les stratégies identitaires inventées depuis 2007 – le projet de citoyenneté québécoise, la charte… –, les immigrants se sont sentis ostracisés. On leur disait: «Vous ne faites pas partie du nous.» Ça n’a pas de bon sens! Est-ce que c’est réparable? Je l’espère. Mais le PQ devra faire son mea culpa et aller vers les communautés. Il faut regagner le cœur des gens.

La course à la chefferie révèle plusieurs visages du PQ. Y aura-t-il une place au parti pour toutes ces voix au terme de la course? Le PQ peut-il redevenir la grande famille des indépendantistes?
Dans tous les commentaires que je reçois, je sens que les gens adorent cette diversité. J’entends souvent dire: «Si le prochain chef pouvait être le reflet de chacun des candidats, ça serait parfait.» Sauf que ça ne sera pas ça. Alors il faut que la ou le prochain chef incarne le rassemblement et compose avec la diversité du parti. Au-delà de ça, le PQ devra aussi composer avec la diversité des mœurs politiques en général. Le bipartisme des bleus et des rouges, c’est fini. Il faut apprendre à travailler avec les autres partis politiques, à bâtir des majorités autant sur différents enjeux sociaux, économiques, politiques, que sur le projet de l’indépendance.

À Montréal, le PQ perd de plus en plus de terrain au profit de Québec solidaire. Comment expliquer ce recul?
Le PQ n’est plus en phase avec le Québec d’aujourd’hui et les idées émergentes. Il y a là un danger. Pour toutes sortes de raisons, les gens ne s’y reconnaissent plus. La charte – et non pas la laïcité – nous a clairement plombés à Montréal auprès de la jeunesse. Je suis acquis, moi, à la laïcité des institutions. Mais je pense que le citoyen de Saguenay qui a contesté la prière catholique au conseil municipal a fait plus pour la laïcité, lui, que toutes les chartes du Parti québécois.

Il y a une désaffection de la jeunesse à l’égard du parti, en raison de notre manque de cohérence. Dans l’opposition, le PQ dit une chose et, une fois au pouvoir, il fait autre chose. Les gens finissent par se dire que, entre le Parti libéral et le Parti québécois, il n’y a pas de différence.

Lors du printemps érable de 2012, le PQ avait pris position en faveur des étudiants. Cette année, l’appui s’est fait très timide. Le parti aurait-il dû se commettre un peu plus?
En 2012, les jeunes ont perçu que le PQ se promenait avec le carré rouge seulement par intérêt électoral. Il y avait une crise grave. Le PQ a bien géré cette crise, mais il n’a fait que la gérer. Les étudiants se battaient contre la hausse des frais de scolarité, bien sûr, mais une partie importante de ce mouvement réclamait la gratuité scolaire. On n’a même pas eu le courage d’en débattre.

Le printemps 2015 s’annonçait depuis longtemps déjà, mais le PQ ne dialogue pas avec la nouvelle génération et ses jeunes leaders. On joue le jeu du gouvernement Couillard en surdramatisant ce qui se passe à l’UQAM. Bien sûr qu’il y a des casseurs, mais il y a surtout, je pense, des jeunes qui foncent avec tous leurs idéaux, leur énergie et leur goût du combat. Le PQ aurait tout intérêt à se rebrancher sur ce monde-là.

Cela fera 20 ans, en octobre, que l’appui à l’indépendance obtenait 49,42% des voix au référendum de 1995. Comment le PQ peut-il ramener l’appui au projet de pays à un tel niveau, et même davantage?
On se répète souvent qu’en 1995 on s’est fait voler le référendum… C’est le fun, mais à force de se le répéter, on oublie qu’il y a de la job à faire. La job, c’est de retourner voir la population et de se redéployer dans l’espace public. C’est de réapprendre à parler d’indépendance. Pendant une assemblée en novembre, un monsieur a demandé aux candidats à la chefferie: «Dites-moi, dans vos mots, pourquoi on devrait faire l’indépendance?» Pas un seul d’entre nous n’a eu une réponse intelligente. C’est comme si nous n’étions plus capables de répondre à une question aussi simple, mais en même temps aussi fondamentale que celle-là… En plus, le PQ ne mobilise plus ses membres. Il les appelle juste quand il veut de l’argent. C’est dramatique. Les gens ne veulent plus entendre parler de stratégie; c’est un travail de conviction que nous avons à faire.

Le PQ va devoir incarner de nouveau un projet qui parle au monde, qui fait rêver. On n’a plus à faire la démonstration que la souveraineté peut vivre économiquement. La question, c’est plutôt : est-ce qu’on veut la faire ou non? C’est une question de cœur.

Vous avez évoqué dans de précédentes entrevues qu’il y avait des pressions au sein du parti afin de ne pas attaquer le favori de la course, Pierre Karl Péladeau. En avez-vous subi?
Je n’ai pas subi de pressions directes. Personne de l’establishment n’est venu me voir pour me dire: «Ta yeule.» C’est plutôt au contact des gens, dans leurs commentaires… On sent la crainte du débat, la peur qu’on se déchire et que le meneur en sorte affaibli. En soulevant la question des paradis fiscaux et de l’évasion fiscale au débat de Trois-Rivières, j’ai été chahuté. Pourtant, ce sont des questions légitimes! Je suis convaincu que les libéraux ont des lance-missiles chargés à bloc en ce moment. S’il y a des choses à régler, réglons-les maintenant. Il ne faut pas attendre aux prochaines élections.

En cette ère d’austérité, un certain discours ambiant prétend que «les coffres sont vides», que le Québec n’a pas les moyens de payer ses programmes sociaux. Comment finance-t-on le modèle québécois?
Notre société a beaucoup cheminé vers la justice et l’équité. On peut parler d’assurance parentale, d’assurance médicaments, du retrait préventif des femmes enceintes au travail, etc. Il faut se battre pour conserver ces acquis. Oui, il y a des déficits, oui, il y a une dette. Moi aussi j’ai une dette; j’ai une maison. Par contre, si demain je vends ma maison, je vais faire du profit. Au Québec, on a des actifs qui valent beaucoup plus que le montant de notre dette.

Je n’hésiterais d’aucune façon à emprunter les milliards nécessaires afin de développer l’électrification des transports, les transports collectifs ou pour mettre en place une politique nationale de transformation des matières premières en région. Les gens travailleraient et ça rapporterait beaucoup à l’État. Il faut toujours être attentif aux finances publiques, certes, mais il ne faut pas virer fou. Les finances sont un grand chaudron de sorcier; les sorciers brassent le chaudron et nous font des peurs. Dans les années 1960, j’entendais déjà les politiciens dire qu’un jour il n’y aurait plus d’argent pour payer les fonds de pension… La peur, c’est l’arme suprême des oppresseurs.

Si un jour on reprend le pouvoir, il faut réformer les institutions démocratiques et le mode de scrutin. C’était dans notre programme dans les années 1970. Pourquoi ne l’a-t-on jamais fait? Parce qu’une fois au pouvoir, on s’imagine qu’on y est pour l’éternité.

Certains candidats misent sur la possibilité d’un deuxième tour afin de bloquer M. Péladeau. Pourrait-on assister à des surprises?
Il n’y a rien d’exclu. La situation actuelle sur le terrain n’est pas celle d’il y a plusieurs mois. Certaines candidatures ont beaucoup progressé, dont celle d’Alexandre Cloutier. S’il fait sortir son vote, ça pourrait causer des surprises. Martine Ouellet a quelques machines derrière elle également. Moi, je pourrais avoir un vote inattendu. Ceux qui aiment mon discours – le vieil ADN progressiste du PQ qui avait un peu perdu foi – regardent avec intérêt la campagne que je mène. Mais le ralliement de Bernard Drainville à Pierre Karl Péladeau rend la possibilité d’un deuxième tour beaucoup plus mince. Ce n’est pas dit, par contre, que l’électorat qui l’appuyait se rangera du même côté.

Envisagez-vous la possibilité de vous rallier à un autre candidat d’ici la fin de la course?
À la mi-avril, nous avons fait le point sur la campagne. Tous les scénarios étaient sur la table, mais, au final, on a décidé de mener les débats jusqu’à la fin.

Continuerez-vous à militer au PQ peu importe le vainqueur?
Oui, mais à des degrés divers, dans la mesure où le Parti québécois saura incarner le genre de discours que je tiens. Je reste acquis à la social-démocratie, à l’indépendance du Québec et au modèle que nous avons mis en place. Je reste au Parti québécois.

En un mot, comment décririez-vous:

  • Alexandre Cloutier?
    Jeunesse.
  • Martine Ouellet?
    Militante.
  • Pierre Karl Péladeau?
    Original.

En rafale, pour ou contre?

  • Policiers à l’UQAM?
    Contre. On ne règle pas un problème politique par la répression.
  • La nouvelle mouture du Plan nord?
    Contre. Être si riches et brader autant nos ressources naturelles, c’est incroyable.
  • La modulation des tarifs de garderie?
    Contre. On s’était donné un bon régime qui permettait de lutter contre la pauvreté.
  • Les quotas de patients aux médecins?
    Contre. Les changements en santé devraient se faire en consultation avec les gens à la base.

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