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Les sénateurs ne pensaient pas aux contribuables

OTTAWA – Les sénateurs ne se souciaient guère du fait que leurs factures étaient payées par les contribuables, conclut le Bureau du vérificateur général (BVG) dans un rapport très attendu déposé mardi.

Que ce soit en optant pour un siège en classe affaires plutôt qu’en classe économique, en réclamant des indemnités additionnelles pour un repas plus savoureux (car il est impossible d’«obtenir un repas convenable dans un avion au Canada») ou en préférant des cartes de voeux plus dispendieuses à celles fournies par la Chambre haute, des sénateurs ont abusé, selon le BVG.

Et dans certains cas plus graves — dont ceux qui ont été référés à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) —, des sénateurs sont allés jusqu’à demander aux contribuables d’éponger les factures de séjours dans un camp de pêche, de parties de golf ou encore de billets de hockey en alléguant que le tout était en lien avec leurs fonctions parlementaires.

Ces comportements témoignent du fait que les sénateurs n’ont «pas toujours pris en considération l’obligation de veiller à ce que les dépenses payées à même les fonds publics soient justifiées, raisonnables et appropriées», est-il écrit dans le rapport produit par le bureau de Michael Ferguson.

La majorité des 30 sénateurs qui sont nommés dans le document ont signalé qu’ils étaient en désaccord avec les conclusions du BVG.

Certains ont réagi de façon très acerbe, accusant le VG de baser ses constatations sur des «déductions préjudiciables et non des faits» (Jean-Guy Dagenais, remboursement réclamé d’environ 3538 $) ou de se livrer à des «accusations peu subtiles» constituant «un affront diffamatoire» (Gerry St-Germain, remboursement réclamé de 55 588 $, cas référé à la GRC).

Mais il n’en demeure pas moins que Michael Ferguson assure avoir constaté tout au long de son enquête de sérieuses lacunes en matière de reddition de comptes au Sénat du Canada.

«Je suis frappé par le manque généralisé de transparence et d’imputabilité qui caractérise les dépenses des sénateurs, tant dans la surveillance exercée à l’échelle de l’institution que dans les pratiques de certains sénateurs», a-t-il résumé en conférence de presse à Ottawa, mardi.

Il a dit espérer que ce rapport mènerait à un sérieux changement de culture.

Car à l’heure actuelle, les sénateurs sont responsables de s’administrer eux-mêmes; ils «établissent leurs propres règles, choisissent de les appliquer ou non, et déterminent s’il y a lieu de rendre des informations publiques», est-il écrit dans le document.

M. Ferguson recommande donc, notamment, la création d’un organe de surveillance indépendant qui serait chargé de surveiller les dépenses des sénateurs et dont la majorité des membres, y compris le président, seraient indépendants de la Chambre haute.

Invités à dire s’ils s’engageaient à suivre cette recommandation-clé, les principaux leaders du Sénat ont soufflé le chaud et le froid en conférence de presse, mardi.

Le président Leo Housakos a plaidé que cette décision n’est entièrement pas la sienne. «Je suis tout à fait d’accord avec ça, mais inévitablement, ça prend l’appui de la Chambre et ça prend l’appui du leadership», a-t-il laissé tomber.

Chose certaine, tous savent que «ça prend plus de transparence, plus de surveillance et de meilleurs contrôles dans cette institution», et à ces fins, «d’autres mesures» viendront «très bientôt», a-t-il poursuivi non sans insister sur le fait que des progrès ont déjà été réalisés.

«Il faut souligner que le rapport du VG, c’est une ‘snapshot’ du Sénat en 2011-2012. C’est pas un portrait du Sénat de 2015, et c’est sûrement pas un portrait du Sénat qu’on va avoir en 2016-2017», a fait valoir le sénateur Housakos.

À son tour au micro, le leader du gouvernement à la Chambre haute, Claude Carignan, a pour sa part affirmé qu’à la lumière de ce rapport, le comité de régie interne ne devrait «clairement» plus avoir le dernier mot sur la légitimité des dépenses des sénateurs.

Le bureau du VG aura consacré deux ans et près de 24 millions $ à la production de ce document lui ayant permis d’identifier près de 977 000 $ en dépenses inadmissibles chez une trentaine de sénateurs.

À ceux qui, comme l’a lui-même fait le président du Sénat vendredi dernier, parlant d’un «faible retour sur investissement», ont critiqué le coût de l’exercice, Michael Ferguson réplique qu’il faut voir les choses avec davantage de recul.

«Je le vois comme une façon d’aller de l’avant. (…) Je pense qu’il y aura beaucoup plus de contrôle sur les dépenses au Sénat dans l’avenir», a-t-il suggéré lors de sa rencontre avec la presse parlementaire.

L’accueil qu’ont réservé au rapport du vérificateur général plusieurs sénateurs qui sont pointés pointés du doigt dans le document de quelque 130 pages a irrité le porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière d’éthique, Charlie Angus.

«Je n’ai entendu personne dire ‘Je suis désolé’», a-t-il déploré en conférence de presse à Ottawa, mardi après-midi.

«On blâme les autres; franchement, ce n’est que du chiâlage pur et simple. Je pense que c’est inacceptable», a poursuivi M. Angus.

Son collègue Alexandre Boulerice a déclaré que le NPD serait prêt à inviter le BVG à effectuer un audit similaire sur les réclamations de dépenses des députés aux Communes.

«Sur le principe, on n’a aucun problème avec le fait qu’un tiers parti vérifie les dépenses des députés de la Chambre des communes», a offert l’élu néo-démocrate.

Mais en attendant, ce sont les sénateurs qui doivent composer avec les contrecoups de l’audit du bureau de l’agent indépendant du Parlement.

On sait déjà que des accusations criminelles pourraient en découler, les dossiers de neuf sénateurs — dont celui du Québécois Pierre-Hugues Boisvenu — ayant été référés à la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Des 21 autres sénateurs dont les réclamations de dépenses ont été jugées inadmissibles, quelques-uns ont déjà décidé de passer à la caisse.

C’est le cas de Leo Housakos (6710 $), de Claude Carignan (3516 $), du leader de l’opposition à la Chambre haute James Cowan (10 397 $) et de la présidente intérimaire du Sénat, Nicole Eaton (3489 $).

Ceux qui contestent les conclusions du BVG, comme le sénateur québécois Jean-Guy Dagenais, pourront se prévaloir du processus d’arbitrage chapeauté par l’ancien juge de la Cour suprême du Canada Ian Binnie.

La menace d’une suspension plane sur Pierre-Hugues Boisvenu et Colin Kenny, les deux sénateurs toujours actifs dont les cas ont été référés à la GRC, a prévenu le sénateur Carignan.

«J’ai signé tout à l’heure une lettre de référence du dossier au comité de discipline pour avoir une enquête du conseiller en éthique sur le comportement du sénateur Boisvenu», a-t-il signalé.

Le leader de l’opposition au Sénat, James Cowan, aurait fait la même chose dans le cas de Colin Kenny, qui est dans son caucus des sénateurs libéraux indépendants.

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