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Claire Kirkland-Casgrain meurt à l’âge de 91 ans

Photo: Archives Métro

QUÉBEC – Une figure marquante de l’histoire politique récente du Québec et une pionnière de la cause des femmes, Claire Kirkland, est décédée à l’âge de 91 ans.

S’il est un qualificatif qui convient bien à Claire Kirkland, c’est bien celui de pionnière.

Première femme élue députée à l’Assemblée nationale (à l’époque l’Assemblée législative), première femme nommée ministre, première femme juge à la Cour du Québec, elle aura ouvert bien des portes aux femmes et fait en sorte que leurs droits soient mieux reconnus.

Le premier ministre Philippe Couillard a annoncé la tenue de funérailles nationales, disant avoir eu l’occasion de s’entretenir avec des membres de la famille Kirkland-Casgrain. M. Couillard a dit que ces funérailles devaient souligner son engagement et son dévouement en tant que première femme à exercer des fonctions dans les domaines politique et juridique au Québec.

Le premier ministre a ajouté que Claire Kirkland avait mis «ses convictions au service de l’égalité entre les femmes et les hommes».

Élue députée en 1961, puis nommée ministre l’année suivante, elle aura été une des artisanes de la Révolution tranquille. Grâce à elle, le grand vent de changement qui secoue alors le Québec dans différentes sphères d’activités s’applique aussi à la famille et à la vie privée, alors que s’amorce une profonde remise en question du rôle des femmes dans la société.

Née en 1924, elle obtient sa licence en droit de l’Université McGill et exerce la profession d’avocate à Montréal, à compter de 1952. Fille de député, elle a la politique dans le sang et milite très tôt au Parti libéral du Québec, où elle s’illustre à différentes fonctions, notamment à la présidence de la Fédération des femmes libérales du Québec.

En 1961, son père, le député libéral de Jacques-Cartier depuis 20 ans, Charles-Aimé Kirkland, meurt subitement. Ce drame personnel devient une occasion inespérée de se faire valoir: même si jamais une femme n’a réussi à devenir députée à Québec, elle offre ses services pour terminer le mandat que son père avait reçu de la population. Le 14 décembre 1961, âgée de 37 ans, elle est élue avec une forte majorité et entame une carrière politique peu banale. Elle sera réélue en 1962 dans Jacques-Cartier, puis dans Marguerite-Bourgeoys en 1966 et en 1970.

Un an après son entrée en politique, elle fait encore une fois écarquiller bien des yeux en étant appelée à occuper la fonction de ministre sans portefeuille dans le cabinet de Jean Lesage. Par la suite, dans le cabinet Lesage, puis dans celui de Robert Bourassa, elle dirigera différents ministères: Transports et Communications, Tourisme, Chasse et Pêche, Affaires culturelles.

Mais on retiendra surtout de son passage en politique l’avancée spectaculaire qu’elle permet de faire aux femmes, même si — comme bien des femmes de sa génération — elle refusera toujours d’être étiquetée de «féministe».

En 1964, au Québec, une femme mariée ne peut toujours pas faire des choses aussi banales qu’ouvrir un compte à la banque ou signer un bail, sans avoir obtenu l’autorisation écrite de son mari. Mme Kirkland met un terme à cette injustice en faisant adopter la Loi 16, qui élimine l’incapacité juridique de la femme mariée et place les époux sur un pied d’égalité.

De tout ce qu’elle a accompli dans sa carrière, «c’est ce dont je suis le plus fière», a déjà dit Mme Kirkland, lors d’une entrevue à la Gazette des femmes, en 1997. Il faut dire que quelques années avant l’adoption de la Loi 16, la députée fraîchement élue avait elle-même vécu une situation humiliante, quand elle était débarquée à Québec pour louer un appartement et que le propriétaire avait exigé la signature de son mari.

On lui doit aussi, notamment, la modernisation des régimes matrimoniaux et la création du Conseil du statut de la femme, en 1973.

Jeudi, la présidente du Conseil, Julie Miville-Dechêne, n’avait pas oublié son legs.

Elle n’a pas eu la vie facile à son entrée à l’Assemblée nationale, là où elle est restée longtemps la seule et unique femme députée, a-t-elle rappelé en entrevue.

«Elle a contribué de façon très importante à l’entrée des femmes dans les sphères publiques parce que la politique est là où le pouvoir se joue et elle a été l’une des premières à franchir ce pas», a dit Mme Miville-Dechêne.

La politicienne est une figure inspirante pour ceux et celles qui travaillent pour une réelle égalité, a-t-elle aussi dit, soulignant que «55 ans après son élection historique à titre de députée, la parité dans les lieux de pouvoir n’est malheureusement toujours pas une réalité ici».

En 1970, lasse des exigences de la vie publique, Claire Kirkland avait choisi de ne pas se porter candidate au scrutin de cette année-là, mais le nouveau chef du parti, Robert Bourassa, l’avait convaincue de rester. Mais le sursis ne durera que trois ans car en 1973, à 49 ans, elle tire un trait sur sa carrière politique, qui aura été «un accident de parcours» dans sa vie, déclara-t-elle un jour.

Peu après son départ de la vie publique, elle devient juge à la Cour provinciale et présidente de la Commission du salaire minimum. Elle avait pris sa retraite en 1991, à l’âge de 67 ans.

Le monde politique a réagi au décès de cette pionnière.

Dans le communiqué transmis par le gouvernement, la vice-première ministre et ministre responsable de la Condition féminine, Lise Thériault, a dit croire que Claire Kirkland avait été un véritable symbole pour l’histoire des femmes au Québec par «sa contribution unique à notre société et sa brillante carrière».

«Grâce à elle, notre code civil a connu une importante réforme qui a mis fin à l’incapacité juridique des femmes mariées, leur permettant ainsi d’exercer une profession, de gérer leurs propres biens, d’intenter des actions en justice, de signer des baux et de conclure des contrats. En tant que femmes, nous lui sommes donc énormément reconnaissantes. Son apport précieux à la cause de l’égalité entre les femmes et les hommes restera gravé dans notre mémoire collective», a ajouté Mme Thériault.

Le premier ministre Justin Trudeau s’est dit attristé par la nouvelle de son décès dans un message envoyé sur Twitter, rappelant les «premières» accomplies par la politicienne.

Le chef du Parti québécois (PQ), Pierre Karl Péladeau, l’a qualifiée de «pionnière de l’émancipation des femmes au Québec».

Il avait proposé au gouvernement que des funérailles nationales soient organisées en son honneur, si sa famille donnait son accord.

«Mme Kirkland-Casgrain a marqué le Québec, notamment par les nombreuses luttes qu’elle a menées pour la défense des droits des femmes. Pendant 12 ans, Mme Kirkland-Casgrain a été la seule femme à siéger à l’Assemblée nationale. Toutes les Québécoises et tous les Québécois lui doivent beaucoup», a déclaré le chef péquiste.

Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, a salué ses réalisations dans un communiqué.

«Celle qui fut la première à briser le plafond de verre pour toutes les femmes en politique québécoise et qui a inspiré tant de députées à l’Assemblée nationale n’est plus. Le Québec perd aujourd’hui une grande dame, une dame qui s’est illustrée non seulement comme pionnière, mais comme une grande ministre de l’histoire du Québec», a déclaré M. Legault.

Claire Kirkland avait épousé l’avocat Philippe Casgrain en 1954. Le couple a eu trois enfants et a divorcé quelques années plus tard. En 1990, elle avait épousé l’avocat Wildham Alfred Strover, un ancien compagnon de classe.

Mme Kirkland a été couverte de nombreuses distinctions. Elle a notamment été faite chevalier de l’Ordre national du Québec et était membre de l’Ordre du Canada.

Plus récemment, elle a reçu le prix Pfizer de la pionnière, décerné par la Fondation du Y des femmes de Montréal, en mai 2002, et la médaille du Barreau du Québec, le 21 mai 2005, pour sa contribution exceptionnelle au Québec moderne.

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