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Aide à mourir: les libéraux ont perdu leur pari

Prime Minister Justin Trudeau takes part in the National Prayer Breakfast in Ottawa on Thursday, May 19, 2016. THE CANADIAN PRESS/Sean Kilpatrick Photo: THE CANADIAN PRESS

OTTAWA – Le gouvernement libéral, qui exhortait depuis des semaines les parlementaires à adopter son projet de loi sur l’aide médicale à mourir dans les délais prescrits par la Cour suprême du Canada (CSC), a officiellement perdu son pari.

Après avoir adopté le principe de la législation, vendredi, les sénateurs ont décidé d’ajourner les travaux jusqu’au mardi 7 juin — soit un jour après la date butoir fixée par le plus haut tribunal au pays.

«C’est sûr que ça aurait été préférable de respecter cette date-là, cependant, on a eu le projet de loi la semaine passée», a justifié en entrevue téléphonique le leader de l’opposition conservatrice au Sénat, Claude Carignan.

Le projet de loi C-14 a été renvoyé à un comité sénatorial qui se réunira lundi et mardi matin. Le comité devrait faire état des résultats de son étude mardi après-midi, ce qui veut dire que le débat en troisième lecture pourrait s’amorcer à ce moment.

«On doit faire le nécessaire pour avoir le meilleur projet de loi possible (…) Je pense que le délai va se ressentir sur la qualité du produit», a insisté le sénateur Carignan, disant croire que le vote en troisième lecture ne se ferait fort probablement pas la semaine prochaine.

Selon lui, les sénateurs pourraient proposer plus d’une dizaine d’amendements. Certains chercheront à inclure des dispositions pour restreindre l’accès à l’aide médicale à mourir, d’autres pour l’élargir.

Le représentant du gouvernement à la chambre haute, Peter Harder, se dit pour sa part convaincu que C-14 est «bien fait» et qu’il est «le meilleur pour le Canada», tout en rappelant que les libéraux ont assuré qu’ils étaient ouverts aux amendements.

Il n’a pas voulu réagir directement au fait que le Parlement vient de louper la date limite établie par la Cour suprême du Canada.

«Je pense que le Sénat a fait son travail de manière très efficace, très respectueuse, et d’une façon qui, j’espère, démontre aux Canadiens que les sénateurs jouent bien leur rôle», s’est contenté de dire M. Harder en entrevue téléphonique.

Les ministres de la Justice, Jody Wilson-Raybould, et de la Santé, Jane Philpott, ont déclaré qu’il était «important qu’un projet de loi soit adopté dès que possible pour répondre au vide légal qui sera en place après le 6 juin» dans un communiqué conjoint publié en fin d’après-midi.

«Nous sommes confiantes que le Sénat étudiera le projet de loi C-14 à la fois rapidement et avec attention, tout en gardant en tête que les Canadiens, en particulier les plus vulnérables d’entre eux, ont besoin d’un cadre réglementaire en place le plus tôt possible», ont-elles indiqué.

À minuit, le mardi 7 juin, l’aide médicale à mourir sera légale au pays même si elle n’est pas encadrée par une loi fédérale. Les collèges des médecins de toutes les provinces et d’un territoire avaient prévu le coup, établissant des lignes directrices pour guider leurs membres.

Les balises permettront d’assurer la protection des plus vulnérables, estime le professeur de droit et ex-ministre québécois Benoît Pelletier, selon qui l’argument du vide juridique qu’ont martelé les ministres Wilson-Raybould et Philpott sur toutes les tribunes depuis des semaines ne tient donc plus la route.

«S’il n’y a pas de loi en vigueur le 6 juin, ce n’est pas une catastrophe dans le sens où il n’y a pas de vide juridique. Il y a un vide législatif, j’en conviens, mais il n’y a pas de vide juridique parce que c’est l’arrêt Carter qui fait autorité», a-t-il dit en faisant référence à la décision rendue en février 2015 par la CSC.

Au Québec, tant le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, que le Collège des médecins (CMQ) leur conseille de se coller à la loi québécoise.

«Ce qu’on conseille aux médecins, c’est d’appliquer la loi québécoise. Et si vous sortez du cadre de la loi québécoise, demandez un avis» juridique, a expliqué en entrevue téléphonique le docteur Yves Robert, secrétaire du CMQ.

Cette recommandation pourrait cependant exposer la Loi concernant les soins de fin de vie — qui va moins loin que l’arrêt Carter c. Canada — à des contestations judiciaires pendant la période de flottement qui s’amorcera mardi, selon des experts juridiques.

«C’est certain que les médecins vont être très prudents — et ce, au détriment des gens qui vont revendiquer l’aide médicale à mourir», a analysé Benoît Pelletier.

L’avocat Jean-Pierre Ménard, qui a participé à l’élaboration de la loi québécoise, abonde dans son sens, faisant remarquer que la jurisprudence récente semble démontrer «que la décision Carter va avoir toute sa portée et non pas une portée limitative ou restrictive».

Ultimement, «les gens ont ce droit constitutionnel là», a résumé Me Ménard.

Pendant la période de sursis de quatre mois accordée au gouvernement par la Cour suprême, 29 personnes se sont adressées aux tribunaux pour avoir accès à l’aide médicale à mourir, selon Ian McLeod, du ministère de la Justice.

«Des 29 demandes desquelles nous sommes au courant, 25 ont été accordées et deux sont en cours. Deux des demandes ont été retirées», a-t-il signalé jeudi, précisant qu’aucune de ces requêtes n’émanait du Québec.

L’une d’entre elles concernait une femme âgée de 58 ans ayant obtenu le 17 mai dernier une décision favorable de la Cour d’appel de l’Alberta, qui avait remis en question la constitutionnalité de C-14.

La dame identifiée dans le jugement par les initiales E.F. s’est depuis prévalue de son droit.

«Elle s’est éteinte paisiblement un peu plus tôt cette semaine entourée de sa famille et de ses amis proches», a écrit vendredi dans un courriel l’avocate qui la représentait, Trista D. Carey.

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