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Stealing Alice: La responsabilité de vivre

Photo: Photo: Josie Desmarais/Métro | Montage: Steve Côté/Métro

Née d’une mère inuite et d’un père québécois, Alice est portée par une intarissable soif de vivre, un profond désir de vengeance et une peine d’amour dévastatrice. Voleuse de tableaux, elle parcourt le monde, fuit et esquive, traque à son tour. Née dans l’esprit de Marc Séguin, cette héroïne «qui ne méritait pas d’avoir une existence générique» a poussé le peintre et auteur à scénariser, à réaliser et à produire son premier film, Stealing Alice. «De toute façon, dès qu’un personnage se met à exister, c’est lui qui décide!»

C’est «l’histoire d’Alice avant qu’elle ne disparaisse». Avant qu’elle ne s’évanouisse sans laisser de traces, dans l’immensité du Grand Nord. C’est le récit de sa fuite, et des racines qu’elle cherche, entre Venise, le Vatican, Manhattan, Kuujjuaq, subtilisant des chefs-d’œuvre, les offrant à des gens qui comptent.

Signé Marc Séguin, sublimé par la direction photo de Claudine Sauvé, cadré à la perfection, le film suit cette battante romantique, incarnée par Fanny Mallette, pleine de désir et de détermination. Une femme «rageuse, intelligente, vraie, contemporaine», tout en élégance, qui porte des créations classe de Kollontaï, de Valérie Dumaine. Qui éviscère aussi des poissons, puis place, de ses ongles rouges écaillés, l’aiguille sur des vieux vinyles de Lead Belly, pour laisser entendre la voix écorchée du bluesman chanter In the Pines et Black Betty. Qui se confectionne 34 gâteaux pour ses 34 ans, puis écrit «Fuck you» sur l’un d’entre eux et se souhaite «bonne fête», toute seule, à la lueur des bougies.

«Elle est belle, remarque le peintre-réalisateur. Elle a des imperfections. Et de l’instinct.» Mais surtout, bien simplement, «elle vit». Intensément. «Elle n’est pas en train de regarder un téléroman, ou en train de chialer contre son boss. Elle a des pulsions, des désirs, une énergie, une urgence d’avancer. Et je pense que c’est une responsabilité qu’on devrait tous ressentir. La responsabilité de vivre.»

Alice déteste non seulement «les gens qui expliquent leurs sentiments plutôt que de les partager», mais aussi les gens tout court. Elle dit qu’elle n’est pas heureuse, mais que «le bonheur, elle s’en fout». Elle croit que la population idéale pour la planète serait de «un habitant». Est-ce le genre d’héroïne fonceuse, déterminée, bref trop rare, que vous aimeriez voir plus souvent au cinéma?
Oui. Elle est faite de contre-emplois. Je ne sais pas dans quelle mesure je peux dire qu’elle me ressemble, mais son côté trash, je l’admire. Et je trouve, malheureusement, que le cinéma ne veut pas le voir chez les femmes. On tombe souvent dans le cliché. À moins que ce soit Superwoman, ou une héroïne de bande dessinée.

Alice entretient un rapport particulier avec ce qui se passe à l’étranger. «À la télé, quand les gens meurent assassinés, décapités dans un autre pays, ça ne me fait rien. Trop de distance.» Par ce procédé, souhaitez-vous offrir un reflet de comment, au Québec, on traite parfois les gens sur notre propre territoire?
Oui. On maltraite ceux qui vivent autour de nous. Souvent, même dans la rue, on ne regarde pas ceux qui ont besoin de soins, qui sont nécessiteux. On dirait que si ça ne passe pas par la télé, ça ne nous atteint pas. Et, même là, il y a une espèce d’indifférence. On voit les nouvelles; on zappe au hockey. Certains médias nous poussent à un détachement malsain. Il faut dire qu’Alice est aussi en colère contre l’époque narcissique dans laquelle on vit. Elle s’inscrit contre le me, myself and I. Elle préférerait un projet de société, un projet humain.

Vous entrecoupez le film de plans de paysages, de nappes d’eau, de glaciers, d’escarpements qui défilent, sans dialogues. Des moments de respiration pour le spectateur?
Comme il n’y avait pas de producteur pour me dire: «Ne fais pas ça, tu vas perdre ton public, son attention!» j’ai eu le luxe de présenter le paysage, d’illustrer le temps qui passe. Et je trouve que le temps, au cinéma, c’est ce qu’il y a de plus précieux. Même quand il ne se passe rien… il se passe quelque chose. On respire, oui. Ou alors, on est plongé dans un état de contemplation, on comprend d’où viennent les personnages. Chaque plan esthétique a une fonction.

«Je ne sais pas si le film va susciter des discussions. Je pense plutôt que, comme avec mes tableaux, il fera réfléchir les gens sur le plan individuel.» – Marc Séguin

Au cœur de votre film, on trouve la vengeance. Un sujet sensible, souvent illustré en tout noir ou en tout blanc. De quel œil voyez-vous ce thème si vaste, si complexe?
La vengeance, on la subit, on en entend parler partout dans les médias. Quand on parle du terrorisme d’État islamique, c’est, à la base, de la vengeance. Mais on ne s’intéresse jamais à ses racines. Dans mon film, je sais que la ligne est très mince. Cela dit, j’ai donné à Alice la légitimité de se venger de quelque chose pour essayer de comprendre d’où vient ce désir. Parce que, à partir du moment où on comprend, on peut commencer à contrôler, à gérer, à guérir. À aller ailleurs. Sa rage – et elle est profonde – s’explique très facilement. Sa mère inuite a été déportée et on l’a forcée à prier dans une autre langue que la sienne. Cette rage, je trouve ça beau de la voir et de l’illustrer.

Dans une scène, Alice écrit sur sa cuisse au stylo-feutre: «Well behaved women never make history» (les femmes sages ne font jamais l’histoire). La phrase originale, de Laurel Thatcher Ulrich, c’est bien sûr «Well-behaved women seldom make history» (font rarement l’histoire). Vous croyez à laquelle de ces pensées?
La mienne est un peu plus violente. Never. Jamais. Alors que seldom, ça laisse une petite chance… Je trouve ça malheureux, mais je crois que, quand on transforme des femmes en personnages historiques, ce sont souvent celles qui ont de la rage, qui sont fâchées, qui ont provoqué les gens. Ce qui n’est pas le cas pour les hommes.

En déambulant dans un musée, votre protagoniste remarque: «Je préfère les artistes quand ils sont morts. Les vivants me foutent la trouille.» C’est elle qui le dit, mais au fond… c’est vous?
Oui! (Rires) J’ai l’impression, des fois, que les artistes, comme elle le dit, «sont comme des trophées». Empaillés sur le mur. Ils servent, ils ont une fonction, mais une fonction esthétique. C’est moi qui chiale contre ça. Contre ceux qui n’écoutent pas ce que l’artiste a à dire, mais qui l’exposent quand même.

Stealing Alice: au Cinéma Impérial vendredi soir à 19h dans le cadre du FNC et au Cinéma Beaubien les 26 et 27 octobre

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