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Film Noir au Canal: Chapeaux, impers et femmes fatales

Photo: Les Films Criterion

Depuis trois ans, tous les dimanches d’été, quelque 300 cinéphiles se réunissent au bord du canal de Lachine pour visionner des films policiers. Dans ce décor rêvé, à la nuit tombée, une petite communauté se crée.

Film Noir au Canal, c’est l’histoire d’une passion profonde doublée d’une excellente idée. Née dans l’esprit de Serge Turgeon. Un éditeur de produits de papeterie et un grand fan du Sud-Ouest qui cherchait une façon d’animer l’espace public, de rassembler ses voisins. Amoureux fou de cinéma, il a pensé projeter des longs métrages policiers. Peut-être
rejoindrait-il ainsi quelques cinéphiles comme lui?

Le premier soir, 100 personnes se sont pointées, salut! Au cours de l’été, le chiffre a doublé. À la deuxième édition, il a triplé.

Au départ, le fondateur présentait toutes les œuvres qu’il avait programmées. En cette troisième année de festivités, même s’il accueille toujours les spectateurs, bienvenue, bienvenue, il passe désormais le micro à des spécialistes du genre. Qui donnent de leur temps et de leur dévouement bénévolement pour l’événement.

Celui qui présentera cette semaine, c’est Will Straw. Professeur de cinéma et des médias à McGill, qui a donné plusieurs cours sur le film policier. Sa «grande passion».

L’an dernier, il avait introduit Un condamné à mort s’est échappé, de Robert Bresson. Un film qui, selon lui, «est un peu lent, surtout par rapport à ceux d’aujourd’hui». Qui est, néanmoins, marqué de la garantie «tout le monde va apprécier». Le prof Straw confie d’ailleurs qu’il est très rare de rencontrer des gens qui n’aiment pas le film noir. «C’est l’essence du cinéma classique, avec tous ses bénéfices. C’est à la fois moderne et romantique.»

C’est cette atmosphère qui l’a aspiré d’emblée. Quand il était jeune, qu’il rentrait à la maison, après des soirées entre amis, et qu’il s’asseyait devant la télévision. À l’écran, les vieux films défilaient. «J’ai commencé à reconnaître les
acteurs. Puis, les styles des studios.»

Il reconnaît aussi tous les courants, les cinéastes, les subtilités. Par exemple, celles du Doulos, de Jean-Pierre Melville, qu’il présentera ce dimanche. «Il y a des films noirs qui tournent autour des personnages, et d’autres, autour des récits. C’est le cas du Doulos. Et c’est ce qui fait principalement son intérêt. La géométrie des relations, les trahisons, le jeu du chat et de la souris.»

«Un homme qu’on soutient, c’est un homme qui va tomber. Et quand un homme va tomber, c’est qu’il est en train de mourir.» –  Extrait du Doulos, de Melville

Il n’est pas le seul à adorer ce scénario. «Tarantino a déjà dit que, à son avis, c’est un des meilleurs à avoir jamais été écrits pour le cinéma. Peut-être qu’il exagère un peu! Mais dans son premier grand succès, Reservoir Dogs, on voit beaucoup de ressemblances.»

Dans les dialogues stylés, notamment. Teintés, dans le cas du film de Melville, de bonnes vieilles expressions à la «ordure!», d’argot du milieu criminel. Par ailleurs, explication du titre: «Le doulos, c’est un indicateur de police. Il jouit d’un statut particulier. Ce n’est pas un hors-la-loi ordinaire, mais sa vie est plus dangereuse.»

Cet indic, il est personnifié par l’iconique Jean-Paul Belmondo. Son meilleur ami, lui, par Serge Reggiani. «Ou, comme on dit, des beaux laids! lance Will Straw. Des hommes qui ne sont pas nécessairement séduisants, mais qui ont du charisme, qui portent des imperméables, des chapeaux…»

Des hommes qui n’ont rien des détectives privés classiques américains. «Ils ne représentent ni la lutte contre la corruption ni celle pour l’intégrité ou l’honnêteté», note le prof Straw.

Parlant de note, s’il y a une chose qu’il apprécie tout particulièrement dans Le Doulos, c’est la musique. Celle qui a été composée et dirigée par Paul Misraki, celle qu’il trouve, comme dans toutes les œuvres de Melville du reste, «absolument fascinante». «Quand on pense au film noir, on a tendance à penser au saxophone, au jazz. Mais les orchestres symphoniques étaient aussi très présents.»

Présentes également: les incontournables figures de femmes fatales. Quoique, dans le cas du cinéaste parisien, leur place soit quelque peu différente. «Melville pose problème parce que, dans ses films, ces rôles ne sont ni très grands ni très intéressants», avance Will Straw. Contrairement, ajoute-t-il, aux grands films noirs américains. «Dans les années 1940, les meilleurs rôles pour les femmes, là où elles étaient le plus indépendantes, c’était justement dans ces films. Reste qu’il y a toujours des débats à savoir si ce sont réellement des rôles positifs. Même si les actrices ne sont pas cantonnées à des fonctions domestiques, elles représentent souvent le mal, celles qui font tomber les hommes. Ça reste très complexe.»

Comme l’est cette scène qui survient à la 25e minute du Doulos. Où l’indicateur joué par Belmondo agit de façon brutale. Une scène que Serge Turgeon a trouvée «un peu choquante». «La première fois que je l’ai vue, j’étais mal à l’aise. Mais je pense que Melville n’avait aucun intérêt pour les criminels. Il a osé les montrer comme des gens amoraux.»

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le fondateur du festival présente un long métrage du réalisateur français près du canal. «La première année, on a montré Le cercle rouge et Le samouraï. Le doulos est plus minimaliste, mais il possède une tournure innovante. Imprévisible. Avec cette œuvre, Melville ne voulait pas seulement faire un hommage au film noir; il l’a emmené dans une nouvelle direction. C’est un peu un fétichiste, si je puis dire. Il aimait tant les chapeaux, les manteaux, la tapisserie, les bruits de poignée de porte. Il pensait toujours au cinéma.»

Serge Turgeon également. Tout pour le cinéma. Il consacre «environ 250 heures» de son temps personnel à son festival par année, il révèle les films projetés seulement une semaine à l’avance histoire de garder le mystère, et ce n’est que depuis la deuxième édition qu’il a obtenu une subvention de son arrondissement, 3 000$ l’an dernier, 4 000 $ cette fois-ci. («La Caisse Pop nous a aussi contactés pour nous aider», ajoute-t-il.) Mais ce labor of love, son labeur d’amour profond, lui rapporte tout l’or du monde – sous une autre forme. «Le public est si beau! s’exclame-t-il. Les gens sont souriants, décontractés. C’est vraiment touchant de voir autant de civisme, de bon voisinage. C’est ça, la ville rêvée pour moi.»

Pas juste pour lui.

Tous les dimanches, jusqu’au 13 août
filmnoiraucanal.org

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