Annulation de Kanata: l’ouverture n’allait que dans un sens, dit le coauteur

Le coauteur de la pièce Kanata, Michel Nadeau, a vivement dénoncé dimanche soir, dans un long message publié sur sa page Facebook, que les personnes de bonne volonté qui s’étaient présentées à la réunion du 19 juillet dernier n’ont pas pu faire entendre leur point de vue aussi fortement que les autres.
«Je trouve dommage qu’on n’ait pas vu en nous, et toute l’équipe, des alliés, des artistes qui tentent de faire la lumière sur une situation tragique auprès de leur public respectif, au-delà de nos appartenances réciproques, a écrit le partenaire de Robert Lepage. Je trouve dommage qu’on ait fait de nous des « Blancs ».»
À savoir pourquoi la production a choisi de ne pas engager d’acteurs autochtones, Michel Nadeau a argué que la productrice française Ariane Mnouchkine avait tout simplement offert sa troupe au directeur d’Ex-Machina.
«Quel metteur en scène n’aurait pas accepté l’honneur d’une telle invitation?», demande-t-il, soulignant au passage que le Théâtre du Soleil est une troupe unique, qui engage une trentaine de comédiens de nationalités diverses, «sans aucun Canadien ou Autochtone». «C’est un esprit, c’est un corps. On ne peut, pour un projet, y intégrer quelques acteurs étrangers qui viendraient épisodiquement faire quelques laboratoires de création», a-t-il tranché, estimant que l’exercice affecterait la cohésion des acteurs.
L’idée maîtresse du Théâtre du Soleil, selon lui, est que le théâtre rassemble les humains au-delà de leurs différences. «Ces acteurs ne se considèrent pas comme Français ou Chinois ou Iraniens mais comme des artistes sensibles à toutes les histoires et les cultures humaines […] Donc la situation des Autochtones s’élargissait, et devenait la métaphore de la tragédie de la perte d’identité de tous les peuples.»
Déception sur fond de compréhension
Dans toute cette histoire, la réputation de Robert Lepage n’aurait jamais dû être affectée, estime le coauteur, qui a souligné qu’à plusieurs reprises au fil du temps, «on a souligné [son] intérêt et [son] respect pour la culture des Autochtones», notamment à travers les spectacles qu’il a réalisés au Cirque du Soleil ou à Wendake, près de Québec.
Il ajoute que son équipe avait spécifié dans le passé, bien avant l’annulation de Kanata, qu’elle ne parlerait jamais au nom des Autochtones, «mais que le point de vue était toujours le nôtre».
Suivant les cinq heures de discussion entre Robert Lepage, Ariane Mnouchkine et les porte-paroles des organismes impliqués, «tout le monde était davantage conscient de la situation de l’autre» aux yeux de Michel Nadeau. «[On] réfléchirait à ce qui était faisable, aux personnes-ressources pouvant être impliquées sur des questions très spécifiques.» Au Diamant, dans la capitale, un espace de temps avait été prévu pour les artistes autochtones de toutes disciplines.
Mais le lendemain, coup de théâtre: certains porte-paroles désignés pour parler aux médias ont plutôt mis «l’accent sur leur méfiance, allant même jusqu’à dire que les offres de partenariats futurs n’étaient peut-être là que pour acheter la paix», a dit Michel Nadeau dans sa missive, qui a fait le tour du web toute la matinée lundi.
«Après cinq heures de discussion, il semblait donc que rien n’ait été changé, a déploré le coauteur. Il n’en fallait pas plus pour que l’incendie éclate. Et rapidement. Jusque dans l’Ouest canadien.» Depuis ce jour, l’agressivité de certains commentaires croît de façon exponentielle, selon M. Nadeau.
Bâtir sur le débat?
Se disant «très déçu» de la situation, le dramaturge ne se fait toutefois pas d’illusion: «je n’ai pas baigné trois ans dans cette culture sans comprendre la colère légitime dont Kanata a fait les frais, et tout le processus de guérison dans lequel sont plongées les personnes des nations autochtones».
Il a affirmé être en accord avec le fait que tout a été volé aux Premières Nations, et qu’il faut constamment se battre pour la préservation de leur richesse. «C’est vrai, tout leur a été volé, mais nous, les larmes, nous voulions les partager», a-t-il lancé à ce sujet.
«Maintenant que le spectacle est annulé, on constate que les offres d’Ariane Mnouchkine et de Robert Lepage étaient sincères, puisqu’ils les ont maintenues, a-t-il également martelé. Et ce, malgré la déception, malgré des pertes d’argent très importantes, malgré trois ans de travail perdu.»
L’ouverture était réelle, selon lui, mais n’a été manifestée que dans un sens. Il a dit espérer que quelque chose de positif sorte de toute cette polémique, «et que cette pièce ne tombe pas dans les limbes de l’incompréhension».
Le coauteur s’est aussi joint aux propos du grand chef Konrad Sioui, qui avait déploré la semaine dernière l’annulation du spectacle, rappelant que Robert Lepage était un «grand ami» de la nation huronne-wendat.