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Centre d’achats: la poésie des grandes surfaces

Photo: Martin Ouellet/Métro

La dramaturge Emmanuelle Jimenez voue une fascination sans bornes aux centres commerciaux. Son préféré? Le Carrefour Laval, pour la hauteur de ses plafonds et la longueur de ses couloirs.

Après avoir signé Plaza et un monologue explosif qui se déroule dans le défunt Zellers, l’auteure renoue avec sa muse en livrant Centre d’achats, une coproduction entre le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et le Théâtre de la Marée Haute.

La prémisse est presque ordinaire. Alors qu’une tempête aux airs de fin du monde fait rage dehors, sept femmes se réfugient dans un centre commercial pour se livrer à une séance inoffensive de lèche-vitrine. Émerveillées par l’abondance de boutiques, les flâneuses se laissent prendre au piège de leur propre spirale d’achats impulsifs.

«Elles se confirment qu’elles sont bien, et, de plus en plus, les irritants extérieurs, la lumière et la musique les confrontent à leur solitude et à leurs conflits intérieurs, jusqu’à ce que ça éclate», raconte le metteur en scène et directeur du Théâtre de la Marée Haute, Michel-Maxime Legault. 

Loin de l’écrivaine, cependant, l’idée de tracer une critique sociale : «Je ne porte pas de jugement sur les centres commerciaux et les gens qui les fréquentent. Je trouve que ces derniers temps, on cherche à transmettre un message politique à tout prix, mais ce n’est pas mon intention ici.»

«Il y a quelque chose de rassurant à savoir qu’on va trouver ce qu’on s’attend à trouver dans n’importe quel magasin à grande surface. C’est difficile de se perdre dans les bannières connues, et c’est pourquoi le centre commercial que je décris pourrait être situé n’importe où.» –Emmanuelle Jimenez, auteure de Centre d’achats

La démarche se penche avant tout sur la transmission de l’ambiance particulière de l’endroit et des émotions qui en découlent. «Je me suis intéressée à tout ce qu’on peut ressentir. Il y a comme un effet physique qui se produit quand ça fait longtemps qu’on est en train de magasiner, à cause de la surabondance de musique, de couleurs, d’objets et de mouvement», précise Emmanuelle Jimenez.

Mise en scène décalée
La solide distribution entièrement composée de femmes, dont Anne Casabonne, Madeleine Péloquin et Danielle Proulx, est le fruit d’un pur hasard. «Il reste qu’il existe plus de boutiques qui vendent exclusivement des vêtements féminins et que la publicité est faite pour attirer les femmes», concède Michel-Maxime Legault.

Pendant que les personnages négocient le prix de quelques fragments de bonheur, l’orage évoque les changements climatiques et l’instabilité politique qui guette à la porte d’un refuge artificiel et temporaire. «C’est un reflet de notre rapport avec le monde et la nature. Le centre commercial, c’est la vitrine de ce que le capitalisme propose comme sens de la vie», estime l’auteure.

Michel-Maxime Legault a adopté une mise en scène ultra-théâtrale pour illustrer un sujet ultra-réaliste : «On est allés dans les extrêmes. Les femmes cherchent le kit parfait pour leur prochain souper du vendredi soir, mais se retrouvent toutes avec le même.»

La gestuelle exagérée des personnages tirés à quatre épingles, dans leurs vêtements de griffe signés Denis Gagnon, détonne avec des répliques aussi communes que : «Combien elle coûte, cette paire de souliers Aldo?» «On part de l’effet “wow” de l’habillement à la mode pour montrer toute leur détresse», conclut le metteur en scène.

Un repère collectif
Outre la fatigue émotionnelle qu’il entraîne, Emmanuelle Jimenez aborde le centre commercial en tant que marqueur de relation, comme un point névralgique, une artère qui relie les villes, les banlieues et les régions. «La culture gravite autour de Montréal, et cette création a l’avantage de ne pas s’adresser uniquement au public de cette ville. Notre sujet touche toute la province», note Michel-Maxime Legault.

À l’échelle de l’Occident, le besoin de partager se heurte à l’urgence de consommer toujours plus les mêmes choses. «C’est un peu terrible de dire ça, mais ce qui nous rassemble en tant que communauté, c’est la présence des marques. Que tu sois à Val-d’Or ou à Drummondville, le Canadian Tire est souvent la référence la plus accessible», explique Emmanuelle Jimenez.

À l’orée des Fêtes, Centre d’achats arrive à point.

«Cette nostalgie nous rallie comme public et permet de cultiver un autre regard sur le centre commercial avant qu’on soit tous obligés d’y aller en décembre», conclut Michel-Maxime Legault.

La pièce Centre d’achats est présentée du 13 au 1er décembre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.

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