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Denis Villeneuve: l’énigme d’Enemy

Photo: Yves Provencher/Métro

«Il faut que les spectateurs soient conscients que c’est un film qui se veut ludique, dit Denis Villeneuve. Un film qui est là pour jouer avec leur perception, pour jouer avec leurs émotions, et qu’il faut le décortiquer. C’est une énigme.» Prêts à résoudre Enemy?

Il y a d’abord un prof d’histoire. Puis un acteur de second ordre. Physiquement, ils sont pareils. Vraiment identiques. L’un est la réplique exacte de l’autre. Ou est-ce l’inverse? L’acteur a une femme, enceinte. Le prof d’histoire, une copine avec laquelle ça va moyennement bien. Les deux types sont incarnés par Jake Gyllenhaal.

C’est un film qui parle de subconscient. C’est aussi le film «le plus personnel» du réalisateur d’Incendies. Est-ce que ça rend le fait d’en parler d’autant plus complexe? «Oui, répond Denis Villeneuve, avant de confier avoir ressenti un sentiment semblable à la création de son court métrage Next Floor, en 2008. Ce sentiment de «faire un film et de ne pas savoir ce que les autres vont en penser». «Comme cinéaste, ton désir, c’est de parler de quelque chose, mais veut, veut pas, tu veux aussi créer des émotions, de la tension, du suspense, une expérience forte et intéressante pour les autres.»

Expérience totale, Enemy crée tout cela. Il n’y a pas d’explications faciles, on ne nous prend pas la main pour nous dire: «Regarde, là, tu as vu? C’est ça que ça signifie.» Ce n’est ni une œuvre bavarde, ni une œuvre facile. «Dans les années 1970, les films étaient parfois plus complexes, remarque Villeneuve. Il y avait des tracks qui s’ouvraient sur des zones inconnues, des images qui nous impressionnaient, mais on n’avait pas toutes les clés pour les comprendre. J’avais envie de faire un film dans cette zone-là. Ça m’a fait beaucoup de bien.»

À la sortie de ses derniers projets, Incendies et Polytechnique, Denis Villeneuve a souvent dit «être attiré par les choses qui lui font peur». Enemy, inspiré – il insiste sur le mot – du roman L’autre comme moi, de feu José Saramago, prix Nobel de littérature, a eu sur lui le même effet. Une attraction née d’un certain vertige. «La force du subconscient et comment, en tant qu’être humain, si on n’aborde pas nos démons et nos ombres, on est condamnés à répéter nos erreurs – c’est quelque chose qui m’habite beaucoup dans ma vie comme homme; quelque chose que j’avais envie d’explorer avec le cinéma.»

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En voyant le fruit de cette exploration, on pense au Eyes Wide Shut de Kubrick, au Naked Lunch de Cronenberg, à La moustache, d’Emmanuel Carrère. Ce dernier titre fait sourire Villeneuve: «J’ai adoré La moustache! C’est un film magnifique, qui m’a donné un plaisir immense comme cinéphile. Les grands cinéastes que j’admire, comme Lynch ou Polanski, ont parfois fait des films comme ça qui font partie de mes préférés. J’avais envie d’aller là une fois.»

Pour ce tournage, il s’est aussi rendu à Toronto, ville transformée, «personnage à part entière», comme il est coutume de dire. À l’écran, on se retrouve dans le quartier des affaires d’Adelaide Street West, à l’université et dans un complexe de condos beiges, où à la lueur de son laptop, le prof d’histoire regarde des films… loués au club vidéo. «Dans le roman, ce sont des VHS. Ça se passe dans les années 1980, précise le réalisateur. Mais je trouvais que, si tu parles de ton double, tu parles de narcissisme. Et l’internet est un vecteur de narcissisme tellement puissant de nos jours qu’on ne pouvait pas en faire abstraction. Et puis, c’était trop jouissif d’inscrire le film dans le présent.»

Ce qui était jouissif aussi, dit-il, c’était de ne pas donner de réponses à tout. «La beauté du cinéma, c’est qu’on peut proposer des choses juste avec des images poétiques qui ne sont pas forcément expliquées, mais exprimées.» À vous de jouer?

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