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La zone artistique sinistrée des frères Chapman

Photo: Hugo Glendinning

Squelettes nazis, mannequins KKK, Ronald McDonald crucifié: les frères Chapman brassent la cage bourgeoise au DHC/ART.

«Si tu observes quelqu’un mourir en toute quiétude dans son sommeil, ça ne révèle absolument rien à propos de l’acte. Par contre, lorsqu’une personne est torturée, son décès prend une ampleur disproportionnée par rapport à l’insignifiance d’une seule vie humaine. Une mort violente avance un argument très mélodramatique à propos de l’importance de l’individu.»

D’entrée de jeu, les frères britanniques Jake et Dinos Chapman plongent dans le vif du sujet: réflexions incisives et questionnements transgressifs sur le sexe, la religion, la mort, l’histoire de l’art, le capitalisme à outrance… Au cours d’une visite de presse de leur hilarante et non moins dérangeante exposition Come and See à la Fondation DHC/ART – la toute première rétrospective de leur travail en sol nord-américain –, une journaliste leur pose l’immanquable «comment qualifierez-vous votre dynamique familiale?», tandis qu’un autre se rabat sur le classique «pourquoi avoir choisi Montréal»?

Visiblement, mes collègues n’ont pas consulté l’imposante couverture que leur accorde la presse britannique, qui qualifie le tandem «d’enfants terribles de l’art contemporain» en raison de leur refus de se livrer aux échanges de platitudes habituels avec les journalistes culturels. (Quant à leurs réponses: «Oui, on jouait ensemble quand on était gamins, mais cela n’a rien à foutre avec notre art», et «Montréal, pour aucune raison, sinon la proposition de [la fondatrice] Phoebe Greenberg.»)

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Pourtant, ces artistes qui font partie d’une prestigieuse vague surnommée YBA (pour «Young British Artists») qui comprend notamment Sam Taylor-Wood et Damien Hirst, sont d’une gentillesse désarmante lorsqu’on s’entretient de leur travail: une pratique multidisciplinaire (sculpture, peinture, cinéma, littérature, installation) qui mise sur la provocation, l’humour grotesque et la critique sociale pointue, et qui s’inspire d’écrits aussi glauques que Les 120 journées de Sodome du Marquis de Sade ou encore des gravures horrifiantes de Francisco Goya, Les désastres de la guerre.

Après avoir été présentée à la Serpentine Sackler Gallery de Londres, cette 16e expo de DHC/ART nous en dit long sur l’appréciation des frères pour le cinéma d’horreur sans flafla d’une époque révolue (George A. Romero, Dario Argento) et ses critiques sociales cinglantes. Qu’on pense à leurs impressionnants dioramas de paysages apocalyptiques regorgeant de figurines nazies et de corps décapités de la bande à Ronald McDonald (The Sum of All Evil) ou des mannequins arborant la tunique du Ku Klux Klan avec des bas à rayures arc-en-ciel, dispersés çà et là dans les salles de l’exposition, Jake et Dinos Chapman soulignent avec humour et horreur l’hypocrisie du monde moderne.

«Ce qu’il y a de fascinant avec McDonald’s, c’est que tu peux retracer le déclin du monde industrialisé avec ce bête petit clown qui, au départ, était emblématique d’un projet utopique et égalitaire: de la nourriture pour tous! précise Jake quant au choix de cette mascotte. Mais il finit par porter sur ses épaules tout le blâme de la mondialisation et par devenir le symbole d’un monde apocalyptique. L’idéal utopique transformé en cauchemar dystopique. On n’aurait pu trouver mieux.»

Come and See
À DHC/ART
Jusqu’au 31 août

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