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Le film «Dérapages»: vitesse et tristesse

MONTRÉAL – Le documentaire «Dérapages» démarre sur des chapeaux de roues. Musique «dans le tapis», boisson qui coule à flots, pédale au plancher. Mais après ces premières séquences, explosives et sensationnelles, Paul Arcand fait rapidement place à l’autre côté de la médaille: parents anéantis, amis bouleversés, vies brisées.

Il se passe quelque trente minutes avant que le réalisateur ne prenne la parole pour la première fois — il préfère de loin la laisser à des accidentés de la route âgés entre 16 et 24 ans et aux proches des victimes de ces tragédies, qui témoignent tous avec candeur et émotion de cet instant où leur vie a basculé.

Il y a Mikaël, qui est confiné à un fauteuil roulant et stationné dans un centre d’hébergement de soins de longue durée pour personnes âgées de Beloeil. Il y a Claudia, polytraumatisée, qui a terminé sa soirée passée au Café Campus dans la voiture d’un inconnu enroulée autour d’un arbre. Il aurait pu y avoir Jean-Benoit, Alexandre, Gabriel ou encore Carl, mais pour eux, le destin en a décidé autrement.

Certains ont voulu tester les limites de leur bolide. D’autres se sont assis derrière le volant après avoir pris un coup. Les plus malchanceux, comme la petite Bianca, se sont retrouvés sur leur chemin.

«Plus on tournait, plus c’était clair dans ma tête que ce film-là ne serait pas un film d’attaque sur un système ou un film de débat sur des chiffres. Dieu sait que j’ai un tempérament hyper rationnel, mais c’était le côté humain que je voulais faire ressortir», a exposé le réalisateur à quelques heures de la première du long métrage, lundi soir.

À l’été 2010, après avoir remarqué qu’une série d’accidents mortels impliquant des jeunes était survenue sur les routes du Québec, Paul Arcand s’est demandé ce qui pouvait bien clocher. Par instinct journalistique, mais aussi par instinct paternel.

«J’ai deux fils dans la vingtaine, c’est sûr que je pense à ça. J’ai une petite tendance père poule (…) et là, ils ne sont plus capables de m’entendre (…) Je les appelle pour être sûr que ça va, pour leur dire de prendre un taxi… Ils me trouvent un peu ‘gossant’», lance le «morning-man», dont le fils Guillaume a travaillé sur la recherche vidéo de «Dérapages».

Le documentaire, dont le montage est beaucoup plus nerveux que celui des deux premières oeuvres de Paul Arcand, soit «Les voleurs d’enfance» (2005) et «Québec sur ordonnance» (2007), laisse beaucoup de place aux adolescents. Il n’était pas question, pour le réalisateur, de jouer à l’adulte moralisateur et de faire du «ado-bashing».

«Je voulais laisser parler les jeunes. Je voulais maximiser l’espace de leurs contradictions, de leurs convictions et vraiment, vraiment tout mettre. Tu penses que c’est parfait quand c’est le moins ‘chaud’ qui conduit? Ben c’est correct. C’est ça que tu as dit, c’est beau.»

«Mais quand les solutions viennent, quand un jeune dit: ‘ Un «con» qui roule à des vitesses de débile, tu lui enlèves son permis pour un an’, je pense que ça a plus d’impact que si c’est un adulte qui le dit», suggère-t-il.

«Dérapages» soulève forcément de nombreux questionnements quant aux lois québécoises sur la conduite automobile. Cependant, il s’attarde aussi beaucoup à la responsabilisation des jeunes conducteurs et au rôle des parents.

L’objectif du film n’est donc pas uniquement de susciter un débat de société, mais aussi de provoquer de nécessaires discussions autour de la table à dîner.

«Selon moi, c’est un film qu’il faut voir en famille. C’est un film, je pense, qu’on devrait voir avec ses ados», plaide M. Arcand.

«Le rôle des parents, ce n’est pas juste d’imposer des affaires. C’est aussi d’être conscient que son enfant risque de prendre un coup.»

Et donc de prévenir son enfant que l’on préfère entendre sa voix que celle d’un policier à l’autre bout du fil aux petites heures du matin.

C’est un échange que la productrice Denise Robert n’a pas encore officiellement eu avec sa fille Mingxia, qui vient de souffler ses 16 chandelles.

«Pas encore. Ça s’en vient. J’attends qu’elle voit le film et après ça, je vais en parler avec elle», dit celle qui collabore pour une troisième fois avec Paul Arcand.

Pour «Les voleurs d’enfance», c’est la productrice qui avait approché le réalisateur. Cette fois-ci, ce fut l’inverse. Et le résultat fait visiblement le bonheur de Denise Robert, selon qui Paul Arcand a su tirer le maximum de ses sujets et accoucher d’un film très bien ficelé.

«Paul a été extrêmement respectueux des jeunes, et c’est comme ça qu’il a réussi à les amener tous à se confier. On le voit à travers chacune des histoires.»

Selon la productrice, plus de 60 copies du film «Dérapages» se retrouveront en salles à compter du 27 avril. Pour un documentaire, au Québec, c’est beaucoup — à titre comparatif, le dernier long métrage documentaire produit par Denise Robert, «Survivre au progrès» (du réalisateur Mathieu Roy) était distribué à cinq copies.

Le défi, maintenant, pourrait bien être de convaincre les adolescents de «s’astreindre» à visionner un documentaire. Peut-être la bande-annonce — qui a des allures de certains films faisant le régal des mordus de la vitesse («Rapides et dangereux» et autres oeuvres du genre) — arrivera-t-elle à les attirer dans les salles de cinéma.

En attendant, Paul Arcand et Denise Robert feront une tournée du Québec afin de présenter le film aux jeunes. Des arrêts sont prévus à Drummondville, Québec, Chicoutimi, St-Jérôme, Gatineau, Trois-Rivières, Joliette et Sherbrooke.

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