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Les fuites d'albums font-elles mal aux artistes?

Photo: Getty Images

TORONTO – Lorsque Dan Snaith, de Caribou, a appris que des gens aimaient son album «Our Love», c’était plusieurs mois avant même la date prévue de sa sortie.

L’album du compositeur de musique électronique de Dundas, en Ontario, avait été mis en ligne plus tôt que prévu, sans son autorisation. C’était au mois de juin, et l’album devait paraître en octobre.

Et comme c’est souvent le cas dans ce genre de situation, Snaith a pris connaissance de la fuite lorsque des gens se sont mis à le féliciter.

«Dès le moment où il y a eu une fuite, des gens éhontés (m’ont laissé) des messages sur Twitter, Facebook, tout ça», s’est-il rappelé lors d’une récente entrevue. «Hé, ton album a coulé. Je l’aime beaucoup. Peut-être que je vais l’acheter ou aller à un spectacle ou quelque chose.»

«Ils ne sont pas du tout gênés. C’est seulement un fait.»

Snaith n’a pas du tout été attristé par la nouvelle, en partie parce que ce n’était pas la première fois que cela lui arrivait.

«Chacun de mes albums a coulé longtemps à l’avance», a-t-il admis en riant. «D’une certaine façon, cela doit vouloir dire que quelqu’un a hâte de l’entendre.»

Les fuites sont en effet devenues chose courante dans l’industrie de la musique, un autre fléau associé à l’ère de l’Internet: les artistes ne peuvent contrôler combien vous déboursez pour de la musique, et ils ne peuvent plus contrôler le moment où vous l’entendez.

L’album très attendu qui ne se retrouve pas en ligne avant sa sortie est maintenant l’exception, généralement le résultat d’une stratégie digne d’un roman de Tom Clancy ou, pire encore, de l’indifférence du public.

«Qu’est-ce qui ne coule pas?», s’est interrogé David Bakula, l’un des hauts dirigeants de Nielsen Entertainment, en entrevue téléphonique depuis Los Angeles.

«Vous pouvez aller sur un site, quelque part, presque tous les jours et trouver quelque chose dès que c’est enregistré.»

Les compagnies de disque tentent malgré tout de contrer les fuites grâce à différentes mesures de sécurité et n’hésitent pas à contre-attaquer lorsqu’un album se retrouve en ligne avant la date prévue. Elles répondent souvent aux fuites en offrant une version claire — et légale — pour écoute en continu.

Les fuites sont certainement toujours perçues comme quelque chose de négatif (plusieurs grandes maisons de disques ont refusé des demandes d’entrevue à ce sujet). Mais, de plus en plus, certains joueurs de l’industrie admettent qu’il existe certains avantages à ce qu’un album soit entendu prématurément.

«Ça a évolué au fil des années, alors qu’au départ on percevait cela comme si c’était seulement mauvais, explique Bakula. Ces choses coulent sur le web, nous n’étions pas prêts. Mais c’est un bon indicateur de ce qui se passera par la suite.»

«Nous ne pouvons pas suivre les fuites, mais nous pouvons suivre l’impact des fuites. Et c’est là qu’on a une bonne idée de la demande prématurée pour une nouvelle chanson.»

Même les artistes ont appris à regarder le bon côté des choses.

«Je ne m’en inquiète plus», a confié le rappeur T.I., récemment, à Toronto.

T.I. parlait alors en tant qu’artiste rap, mais aussi en tant que grand patron d’une étiquette de disque, qui a pris sous son aile la vedette pop de l’heure, Iggy Azalea. Le plus récent album de la chanteuse, «The New Classic», tout comme celui du rappeur, «Paperwork», se sont tous les deux retrouvés sur Internet avant leur temps. Mais cela n’a pas inquiété T.I. outre mesure.

«S’il y a une fuite, il y a deux solutions possibles: vous pouvez essayer de l’arrêter, ce qui n’est pas vraiment possible, ou vous pouvez observer, pour voir le type de réaction que ça génère.»

Lorsque cela se produit, la fuite devient à la fois un outil promotionnel (compte tenu que la disponibilité prématurée d’un album attendu fait souvent l’objet d’articles et de discussions sur les médias sociaux) et une occasion de tester les réactions.

«Parfois, une fuite peut vous dire si vous tenez quelque chose ou non», estime le rappeur de 34 ans.

«Parfois, si la musique est coulée en ligne et qu’elle n’obtient pas une grosse réaction, pouvez-vous imaginer si vous aviez investi des centaines de milliers de dollars pour réaliser qu’elle n’obtient pas beaucoup de succès?»

C’est ce qui pousse David Bakula à croire, bien que personne ne l’admettra, que plusieurs fuites de musique en ligne pourraient être moins accidentelles qu’on ne le laisse croire.

Les fuites sont généralement attribuées à des journalistes négligents, à des voleurs virtuels ou à des problèmes de sécurité lors de la fabrication ou de l’enregistrement du produit. Les artistes qui arrivent à garder leur musique secrète jusqu’au moment voulu doivent travailler très fort pour le faire.

Comme l’a raconté le magazine Billboard, Kanye West et Jay Z se sont donné beaucoup de mal pour empêcher la fuite de leur succès de 2011, «Watch the Throne». West ayant été piqué à vif par la fuite de son album de 2010 «My Beautiful Dark Twisted Fantasy», le duo avait forcé tous ses collaborateurs à travailler avec lui en personne plutôt que par courriel. Ils ont enregistré leur musique dans des chambres d’hôtel plutôt qu’en studio, conservant les chansons sur un disque dur externe protégé par un mot de passe.

Mais pour la majorité des artistes, de telles manoeuvres n’en valent pas la peine.

«J’ai l’impression que tout le monde obtient sa musique avant la sortie officielle de nos jours, et même lorsqu’elle est légalement disponible, ils l’obtiennent sans doute sans payer», raisonne Nick Jonas, dont le premier album solo s’est retrouvé en ligne avant la date prévue.

«Plutôt que de lutter contre ce phénomène, j’ai choisi de l’accepter. Je veux que les gens entendent ma musique. Et, je l’espère, ils l’aimeront et seront inspirés par elle. Je ne m’inquiète pas de la façon dont ils l’entendent, je veux juste m’assurer qu’ils l’entendent.»

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