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Wild: Nature humaine

Photo: Denis Beaumont/Métro

Dans Wild, Jean-Marc Vallée suit les traces d’une fille qui, après s’être perdue, mais vraiment, entreprend une longue marche à travers le Chemin des crêtes du Pacifique pour se retrouver. Ensevelie sous le poids de son sac à dos, surnommé affectueusement le Monstre, elle parcourt les milles, dans des souliers trop serrés, le cœur qui déborde, pour vivre le deuil de sa mère, «l’amour de sa vie». Avec ce film, le réalisateur québécois célèbre cette idée «de ne pas nous juger dans nos conneries. Dans nos affaires. Dans notre imperfection. De juste continuer d’avancer.»

Wild s’ouvre dans le noir, sur un souffle, un grognement de douleur. Celui de Reese Witherspoon. Qui apparaît bientôt coincée sur un rocher. Prise sur le Chemin des crêtes du Pacifique. Épuisée, endolorie, elle se déchausse. Et, cerise sur le gâteau, perd sa botte, qui dégringole l’escarpement, et disparaît. Une botte brune, usée, aux lacets rouges, identique à celle qui orne la couverture du livre autobiographique, Wild, dont le film est inspiré.

L’entrée en matière, fracturée, riche, nous aspire. «On est où? C’est quoi ça? On a une montagne, on a un paysage et là, tout à coup, pouf! Une botte. J’ai voulu la montrer dès la première image. La première minute. L’objet par lequel le drame arrive. Elle la perd. Mais, tant pis. Elle continue. Elle continue d’aller vers l’avant», décortique Jean-Marc Vallée lorsque nous le rencontrons dans une suite de l’hôtel Le Saint-Sulpice, dans le Vieux-Montréal.

L’événement déclenche un cri chez la randonneuse. Un grand «Fuck you, bi*ch!» hurlé à la face du vide. Le fait de commencer son film sur une note aussi viscérale, c’est libérateur? «Oui. J’aime ça, acquiesce le cinéaste. En même temps, on se demande à qui elle parle. À la vie? C’est ça. C’est un fuck you à la vie.»

Il l’a beaucoup dit: dans l’histoire de cette jeune femme, dévastée par la mort de sa mère, qui décide de parcourir des kilomètres à pied pour oublier, Jean-Marc Vallée s’est reconnu; il a reconnu sa mère à lui, décédée du cancer il y a quelques années. «Une femme très positive, ultra positive, qui avait une foi inébranlable», dont la disparition a laissé «un vide. Un grand vide.» Et c’est grâce à Wild que le réalisateur et monteur a «tout sorti en termes de larmes». «C’est une grosse peine, perdre un parent», ajoute-t-il.

C’est aussi une grosse peine de cette trempe qui déstabilise complètement la protagoniste du film, et du livre à son origine. Incarnée par Reese Witherspoon, Cheryl Strayed a – comme le suggère son nom de famille d’emprunt – totalement perdu ses repères après la mort de celle qu’elle aimait tant («Strayed», en anglais, signifie errant). Elle s’est égarée dans les méandres des drogues dures. Dans les aventures sans lendemain. «Tu vois ce que la perte de sa mère a provoqué chez elle? s’enquiert Vallée. Elle a brûlé la chandelle par les deux bouts. Mais c’est ça qui est écœurant de son parcours. C’est ça qui est le fun de son personnage. Elle fait toutes sortes de conneries. Elle n’est pas toujours bonne ni juste. Elle ne s’en va pas vers une rédemption. Et si c’était à refaire, elle referait tout exactement pareil. Pourquoi pas? Si c’est ce que ça lui prend pour être qui elle est? Elle le referait. Je trouve ça grand.»

«La solitude, il ne faut pas en avoir peur. Surtout quand on crée. Il faut savoir se retrouver seul, dans ce qu’on veut raconter, dans ce qu’on veut créer. C’est la même affaire avec le montage. Tu te retrouves avec toi-même après toute la folie du tournage, toute l’activité, toutes les questions, la pression, le fric, le monde. Pis là, BANG. T’es tout seul. Et ça fait du bien! C’est sûr qu’à un moment donné, c’est angoissant. “Ouain, câlique, est-ce que je fais la bonne affaire?” Mais c’est correct. Ça fait partie… du tout. Ça fait partie des quatre saisons.» – Jean-Marc Vallée

***
Quand Cheryl Strayed, la vraie, a entrepris sa randonnée en 1995, elle n’avait pas suivi d’entraînement, n’avait aucune idée de ce que parcourir une telle distance signifiait. Pour preuves: son sac éléphantesque, sa tenue inadaptée aux variations météorologiques, sa peur phobique des insectes. La seule certitude qu’elle avait? Elle devait marcher. Juste ça.

Dans l’adaptation cinématographique de son histoire, au fil de son périple, un renard croise sa route plus d’une fois, la guette, veille sur elle. Sa présence évoque pour nous quelque chose de la fable. «Non, quelque chose de mystique», rectifie Vallée, avant de préciser qu’il souhaitait teinter le récit «de philosophie et de croyances spirituelles amérindiennes». Pour ce faire, le cinéaste maniaque de musique a misé sur El Cóndor Pasa. «La traduction instrumentale de cette pièce de Simon & Garfunkel, que j’ai choisie comme thème principal, a cette qualité», dit-il avant de chanter: «Pam, pam, pam, papapapa, wowowo. C’est flottant, c’est planant. C’est péruvien. Déjà, tu sens l’influence des Premières Nations.»

Agissant comme un «animal spirituel», donc, le renard réapparaît à plusieurs reprises, ses yeux brillant dans le noir. Un mirage? «Le public peut choisir si c’est vrai ou non. Si tu veux y croire, ben crois-y. Et sinon, ben, effectivement, c’est peut-être juste dans sa tête.»

C’est aussi dans la tête de la marcheuse qu’on se retrouve quand, dans une série de retours en arrière et une déferlante de souvenirs, elle raconte ce moment où elle a commencé à prendre de l’héroïne. Et comment elle voulait en prendre encore. Plus. More. Du coup, on entend le vieux hit disco – «qui m’a marqué, enfant», dit Vallée – More More More, d’Andrea True Connection. Tout de suite après, dans un autre flashback, un type extorque de l’argent à Cheryl. Indice pour lancer Money, That’s What I Want. «Tu sais comment le cerveau fonctionne, comment les tounes et les sons entrent et sortent, et les images se bousculent? demande le réalisateur. Ça, c’est un moment où elle commence à perdre la raison, où elle est sonnée par le soleil. Ses idées sont confuses. Elles s’enchaînent. De mots à chansons, de chansons à mots.» Au fil de son trajet, arrivée à la croisée des chemins, la protagoniste se demandera aussi à voix haute: «Should I stay or should I go?» Un clin d’œil, bien sûr, au célèbre tube des Clash. «Celle-là, je ne pouvais pas la mettre dans le film, mais au moins, je pouvais la citer. Sans que ça me coûte une cenne», sourit Vallée.

Et la plus belle idée de cette histoire, c’est peut-être que Cheryl décide que oui, elle devrait y aller. Go. «Peut-être que je voulais coucher avec tous ces types. Peut-être que l’héroïne m’a appris quelque chose», remarque-t-elle. «Ça fait du bien d’entendre quelqu’un qui ose le dire. Qui ose parler de soi. Parce qu’on a tendance à faire l’inverse, remarque Vallée. À se cacher, à faire des secrets. On a peur d’être jugé, on veut donner l’exemple aux enfants. Alors que là… c’est ça. Bravo Cheryl.» Oui, bravo.

Cinéma
Jean-Marc Vallée en 5 films

  • 1995. Liste noire
  • 2005. C.R.A.Z.Y.
  • 2009. The Young Victoria
  • 2011. Café de Flore
  • 2013. Dallas Buyers Club

Wild – le film
En salle vendredi

Wild – le livre
En librairie
https://www.youtube.com/watch?v=hVZKJt4WzxM

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