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Zola Jesus: la reine des neiges

Photo: Jeff Elstone

Avec ses sonorités glaciales, ses ambiances de gel, ses envolées lyriques teintées de son amour pour l’opéra, Zola Jesus revient à Montréal présenter son cinquième album studio, Taïga. Sur ce disque, la musicienne américaine délaisse quelque peu l’univers noise qui l’a vue naître pour plonger dans un monde pop grandiose, fait de steppes immenses dans lesquelles elle nous entraîne, méditant en cours de route sur la relation entre l’humain et la nature.

«Quand on crée en solitaire, on le fait pour mieux comprendre les autres; pour mieux comprendre le monde dans lequel on vit. Avec un peu de chance, d’autres personnes pourront ensuite se retrouver dans ce qu’on a conçu…» Élevée dans la forêt, au Wisconsin, Zola Jesus – née Nicole Rose Hummel, devenue Nika Roza Danilova en hommage à ses racines russes – connaît la solitude. Et s’y sent bien. «Avoir l’impression d’être séparée du reste de la société me permet de mieux me connecter à moi-même, confie la jeune femme de 25 ans. Je pense que c’est important, quand on essaie d’écrire, de composer et d’être créatif, d’avoir l’impression d’être seul au monde.» C’est du reste de cette impression qu’est né le cinquième album studio de Zola, Taïga, une offrande vaste et bien plus pop que ses premières réalisations plus sombres et obscures.

Histoire de transposer cet esprit grandiose sur scène, durant sa tournée, la pianiste et chanteuse à la voix imposante s’est adjoint les services du scénographe Carl Robertshaw, qui a travaillé avec Katy Perry et Björk, et de la conceptrice d’éclairages Sarah Landau, pour imaginer «une sculpture lumineuse ressemblant à un glacier synthétique» qu’elle «a hâte de dévoiler». «La chance quand on s’isole dans les bois et dans notre solitude, dit-elle, c’est qu’ensuite on peut revenir parmi les autres pour partager le fruit de notre création sauvage.»

Vous nous avez habitués à un rythme effréné de production, sortant un album par année, ou presque entre 2009 et 2013. Cette fois-ci, de votre propre aveu, vous avez pris «plus de temps pour penser à ce que vous vouliez vraiment dire et à la manière de le faire». Est-ce que ça vous a permis de découvrir des choses sur votre musique et votre écriture que vous ne soupçonniez pas?
Oui, assurément. Quand on se donne du temps, de la liberté, les choses qu’on crée viennent naturellement vers nous et semblent, d’une certaine façon, plus honnêtes. Plus pures.

Pour Taïga, vous avez écrit tous les jours, pendant un an et demi, presque deux ans. Vous avez aussi commencé par composer toutes vos pièces a capella. Habituellement, vous y allez plutôt avec quelques notes de piano, de synthé. Est-ce que ce procédé a modifié votre regard sur les mots, votre manière d’écrire?
Sans aucun doute! Les chansons sont devenues… plus fluides. Chanter a capella amène une certaine liberté. Comme je n’étais pas enchaînée à un beat, mes chansons pouvaient se transformer. Pour ce qui est de l’écriture, ça me vient naturellement, c’est quelque chose que j’adore faire. Ça ne me dérange pas d’y dédier tout ce temps. D’un autre côté, quand on écrit autant, on commence à perdre la notion de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas. Dans ces moments-là, prendre une pause pour avoir une vue d’ensemble est une bonne idée. C’est ce que j’ai essayé de faire.

Que faisiez-vous pour prendre du recul?
Hmm… je partais en randonnée ou en voyage, et j’essayais de ne pas penser à l’écriture ou à la composition; je m’efforçais simplement de profiter pleinement de la réalité. Ça m’a inspiré de nouvelles idées.

Durant la création de cet album, vous avez, en quelque sorte, «fui» L.A., où vous habitiez pendant un moment, pour vous réfugier sur l’île de Vashon, un lieu isolé de l’État de Washington. Dans cet environnement, avez-vous senti que vous renouiez avec vos racines, votre enfance et la façon dont vous viviez lorsque vous étiez petite?
Ah, c’était tellement génial…! Lorsqu’on grandit dans un environnement comme celui dans lequel j’ai grandi, moi, on a soif de l’opposé; on veut sonder ce que vivre dans une grande ville signifie. Du coup, j’étais très excitée de [déménager à Los Angeles], et je me suis détachée assez rapidement du lieu où j’ai grandi, mais j’ai vite réalisé qu’on ne peut pas échapper à ses origines… La façon dont on a été élevé restera toujours la plus naturelle. En ville, je me sentais comme un poisson hors de l’eau. Et revenir vers des contrées plus rurales s’est avéré extraordinaire. Ça m’a rappelé à quel point c’est important de ne pas renier ses racines. C’est ce qu’on est. Ça fait partie de notre ADN.

La façon dont les êtres humains se coupent consciemment de la nature est un thème qui vous a toujours intéressée et que vous explorez beaucoup sur Taïga. Est-ce une problématique qui, en plus de vous passionner, vous attriste?
J’ai l’impression qu’avec chaque jour qui passe, on s’éloigne de plus en plus loin de la terre. Mais je ne blâme personne, pas plus que je ne me blâme, moi, d’apprécier la modernité. J’aime beaucoup la technologie. C’est une partie naturelle de l’évolution humaine.

«Je pense que j’ai toujours fait de la musique accessible… mais je travaillais très fort pour qu’elle sonne inaccessible!» – Zola Jesus

Il y a quelques années, dans le magazine Interview, vous avez confié: «Tout ce que je fais est un reflet de la dualité qui m’habite. Musicalement, j’adore les choses qui sont très synthétiques et artificielles, mais j’aime aussi l’organique, l’humain. Je tente toujours de réconcilier les deux.» Sentez-vous qu’avec Taïga, vous avez réussi cette réconciliation mieux que jamais?
Hmm… je ne sais pas. Je pense que cet album est juste une autre façon d’explorer la même chose. Peut-être que je m’en approche de plus en plus, mais en même temps, j’explorerai toujours différents aspects de cette dualité.

À l’époque où vous avez fait paraître votre premier album, The Spoils, en 2009, vous disiez être convaincue d’avoir écrit un «gros album pop». Pourtant, il ne sonnait pas – et n’a pas été reçu – comme tel. Trouvez-vous fascinante la différence entre la façon dont le public perçoit votre art et la manière dont vous le percevez, vous?
Tellement, oui! En tant qu’artiste, ça nous permet de réaliser qu’on est toujours subjectif par rapport à ce que l’on fait. On le fait. Tout simplement. On a notre idée de ce qu’on crée, mais les autres ont aussi la leur. Souvent très divergente.

La chose la plus surprenante que vous ayez entendue à propos de Taïga à ce jour?
Hmmm… il y a eu beaucoup de choses surprenantes! (Rires) Je crois que beaucoup de gens n’ont pas compris mon désir de clarifier mon son.

Vous avez toujours dit aimer «la musique subversive». Trouvez-vous qu’être «subversif», c’est difficile?
Difficile d’être subversif? Non, je pense que c’est difficile d’être accessible! (Rires) Mon intérêt pour les choses qui sont complexes et exigeantes est naturel. Ce qui est compliqué, c’est de… me retenir un peu, ou de tenter de contenir certaines de mes tendances rebelles qui font en sorte que je m’aliène beaucoup de gens. Ça, c’est difficile. Mais désormais je me dis : oh, fais ce que tu veux. Sois qui tu es. Certaines personnes te trouveront extrême, d’autres, non.

Zola Jesus
Au Centre Phi
Ce soir à 21h
Première partie: Deradoorian

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