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Marinoni et moi

Photo: collaboration spéciale

Dans le monde du cyclisme, le nom de Giuseppe Marinoni possède une aura mythique. Ce septuagénaire charismatique et grincheux, au cœur grand comme ça, fabrique des vélos, non, des œuvres d’art. Fasciné par l’homme et l’athlète, le réalisateur Tony Girardin lui a proposé de faire un documentaire sur lui. «Pas question!» a rétorqué le principal intéressé. Girardin a insisté. Et insisté. Et insisté. Trois ans ont passé. M. Marinoni a fini par dire OK. À contrecœur, presque. De leurs rencontres, le réalisateur a tiré un film qui capte l’amour démesuré de ce grand bosseur pour son travail, le sport, ses proches, la vie. Le cinéaste revient sur l’épopée.

Dans votre film, Tony, vous accompagnez M. Marinoni dans son village natal, en Italie. Vous confiez vous sentir «privilégié d’être invité dans le berceau de sa jeunesse et le berceau du cyclisme». Ce genre de privilège vient-il avec une grande responsabilité?
Absolument. C’est sûr qu’on a une grande pression quand on fait un film à propos de quelqu’un d’aussi connu que M. Marinoni! Et d’être là-bas, en Italie…! Juste pour vous donner un exemple, M. Marinoni m’a délégué un traducteur en me disant : «C’est mon ami, il va t’aider à faire des entrevues.» Après trois jours, j’ai demandé à cet homme s’il avait déjà fait de la course de vélo, et il m’a répondu: «Oh oui, j’ai fait 7 tours de France, 12 tours d’Italie…» Je n’en revenais pas! Et c’était pareil pour tous les gens que j’ai rencontrés: des champions olympiques, des médaillés d’or… Sans oublier Ernesto Colnago et Mario Rossin, deux grands fabricants de vélos.

Vous êtes vous-même collectionneur de vélos…
J’étais. C’est comme ça que je me suis lancé dans le projet. Mais dès que j’ai commencé à tourner, j’ai vendu toutes mes pièces. C’est le film qui est devenu ma collection! Il vaut plus que n’importe quoi à mes yeux.

Un des amis de M. Marinoni vous confie: «Quand Giuseppe travaille à l’atelier, il pense “bicyk”.» En tournant ce documentaire, avez-vous pensé «bicyk» vous aussi? Ou avez-vous pensé «cinéma»?
Non, j’ai pensé «être humain». Ce qui m’intéressait le plus de cet homme, ce n’était pas son… comment dire… son art de fabriquer des vélos ou même son pedigree de coureur. Ce qui m’intéressait, c’était le fait qu’il a décidé de venir au Québec, qu’il a déménagé ici, qu’il s’est marié, qu’il a fait sa vie à sa façon en disant: «Il n’y a personne qui va m’arrêter!» C’est ce que j’aime de lui. Il a vécu au maximum et il continue, à 78 ans, d’en faire plus que la plupart du monde qui ont 30, 40 ans.

Est-ce que vous sentez, justement, que vous avez rendu hommage aussi à l’âge, à l’expérience humaine, avec ce film?
À l’expérience des personnes âgées? C’était indirect comme objectif, mais oui. On a montré le film quelques fois dans les festivals, et jusqu’à maintenant, il y a beaucoup de personnes âgées qui se sont déplacées et qui [sortent de la projection] en disant: «Moi aussi, je suis capable!» À 78 ans, M. Marinoni fait 8000km de vélo par année! C’est incroyable! Il est à Cuba au moment où on se parle, en train de s’entraîner pour battre un nouveau record.

«C’était comme filmer un animal sauvage. Une créature mythique! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai choisi de filmer seul, avec une petite caméra. Car souvent, les choses se passaient à la dernière minute. M. Marinoni m’appelait à 21h pour me dire: “Tony! Demain! 4h du matin chez moi! On s’en va aux champignons!” J’avoue que, au début, j’avais… peut-être pas peur, mais j’étais… incertain. Lui non plus n’était pas trop sûr de mon affaire!»

Vous disiez tout à l’heure avoir trouvé inspirant que votre protagoniste ait refait sa vie ici. Vous remarquez d’ailleurs dans le film: «C’était l’histoire classique d’un [immigrant] avec juste quelques piasses dans ses poches et son chandail de course sur le dos.» Vous reconnaissez-vous dans cette histoire?
Personnellement, je suis né ici, et mes deux parents sont Québécois, donc non. Mais il y a plein de gens que j’ai rencontrés pour le film, ou dans ma vie, dont les parents ou les grands-parents sont venus ici, souvent avec rien, pour se bâtir une nouvelle existence. Par exemple ma copine: ses parents sont Chinois. C’est une chose qui résonne pour beaucoup de monde. Moi, j’ai voyagé beaucoup, mais de dire: «Je prends mes affaires, je vais à l’autre bout du monde et je ne reviens pas», c’est une grosse décision qui, je trouve, [mérite] beaucoup de respect.

Vous demandez à plusieurs de vos protagonistes de résumer M. Marinoni en un mot. Vous, quel mot choisiriez-vous? On imagine que c’est «passion»?
Passionné, absolument. Explosif aussi. Et vraiment inspirant. Des traits qui, selon moi, manquent dans notre société.

Et sa femme, Simonne?
Oh… attends… Merveilleuse. C’est une femme vraiment merveilleuse. Mon seul regret, c’est que je n’aie pas plus d’images d’elle. Elle joue un grand rôle dans la vie de son mari, dans la compagnie qu’ils ont bâtie ensemble.

Marinoni

Votre long métrage nous donne la chance d’entendre autant la langue chantante italienne que la langue chantante québécoise. Car M. Marinoni parle un québécois magnifique, avec des «sti» et des «tabarouette»! Sentez-vous que cela a donné une musicalité particulière à votre œuvre?
J’adore cette façon de parler! C’est tellement charmant! Cela dit, il y a beaucoup de langues dans ce film! Non seulement du français et de l’Italien, mais – beaucoup de gens ne le remarqueront peut-être pas – du bergamasque aussi.

Alors qu’au début c’est vous qui allez vers lui, qui lui posez des questions, vers le tiers du film, c’est M. Marinoni qui semble venir vers vous. Il vous demande de sentir les champignons qu’il a cueillis, par exemple, ou vous montre des photos-souvenirs. Avez-vous vu naître une ouverture, petit à petit?
Ce qui est dur à expliquer, c’est qu’il y a beaucoup de choses que j’ai tournées qui ne sont pas dans le film, et beaucoup d’autres qui ne sont pas nécessairement en ordre chronologique. Mais c’est vrai que la relation entre nous s’est développée et qu’elle est devenue un fil narratif. Au début, il commence par me crier par la tête et finalement, on me voit l’aider à se raser les jambes avant sa course! (Rires)

Comme M. Marinoni vous le dit à ce moment: «On aura tout vu, sti!» (Rires)
Exactement! (Rires) On s’est rapprochés durant le projet. Et après avoir visionné le film lors de sa première, à Hot Docs – il ne l’avait encore jamais vu, car je voulais le faire de façon complètement indépendante – il a dit au public: «Maintenant, Tony et moi, on sera amis pour toujours.» J’avais les larmes aux yeux.

Avez-vous montré votre relation afin d’illustrer à quel point c’est un homme qui marque tous ceux qui le côtoient?
Absolument. Je suis complètement vendu! C’est une personne vraiment charmante, qui se soucie [des autres]. C’est juste qu’il n’a pas de patience pour ceux qui sont moins émotifs ou qui arrivent dans son atelier en disant: «Toi, l’artisan, bâtis-moi un vélo, j’ai de l’argent!» Ceux-là, il va les mettre dehors, c’est sûr!

Ode aux vrais

Rythmé par la musique d’Alexander Hackett, qui emploie le piano doux pour bercer les moments plus émouvants et des séquences plus électro pour marquer les scènes de course, le documentaire de Tony Girardin signe aussi les retrouvailles entre Giuseppe Marinoni et le héros du cyclisme canadien Jocelyn Lovell, devenu quadriplégique à la suite d’un accident de la route, le 5 août 1983. Dans ses témoignages, sincères et bouleversants, ce dernier note que les passionnés de vélo se reconnaissent entre eux. Qu’ils sont «différents des autres», qu’ils ne font pas les mêmes choses, ne fréquentent pas les soirées, sont complètement absorbés par leur sport. Alors que le protagoniste se raconte, Tony Girardin montre Giuseppe Marinoni, avec des comparses, pédalant sur une route d’automne. Une manière de saluer ces amoureux du cyclisme. «C’est une culture, surtout quand on pratique le sport à un haut niveau. On s’y sent comme dans une bulle! souligne le réalisateur. Comme le dit M. Lovell: “Quand on est cycliste, il faut être un peu cinglé pour ne pas devenir complètement fou!”»

https://www.youtube.com/watch?v=9HAekvDw_1Q
MarinoniMarinoni: Le feu de la passion
En salle vendredi

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