Soutenez

Jean-Philippe Lehoux: Tout ce qu’il y a de plus Normal

Photo: David Ospina\collaboration spéciale

À Normal, tout semble l’être, normal. Banal. Mais Jean-Philippe Lehoux y a trouvé un barbier qui ne pipait mot, rencontré un chat qui portait un nom de dieu, participé à une parade où pleuvaient des sucreries et aperçu, traînant dans un étang, un album des plus grands classiques de Noël. Donc, banal? Pffft. Tout sauf ça.

Quand Jean-Philippe Lehoux a demandé au public de La Licorne de l’envoyer passer un mois dans une ville absolument évitable, il ne s’attendait ni à un tel enthousiasme (vous voulez vraiment me faire échouer dans un trou à ce point?) ni à aboutir dans une petite bourgade de l’Illinois.

Il ne s’attendait pas non plus à trouver le temps aussi llllllooooonnnnggggg. Mais après des premiers jours marqués par un ennui monstrueux, le voyageur confirmé a commencé à se dire que bah, en fin de compte, ce n’était peut-être pas si… hm. Pire? Après tout, dans quel autre contexte aurait-il pu croiser le plus célèbre preacher des États-Unis et méditer en chest?

C’est ainsi que, de ce périple en terre de «maison, maison, feux de circulation, parc, maison, maison», le dramaturge et acteur trentenaire a fini par ramener une montagne de souvenirs (certains «pénibles sur le coup», mais transformés en anecdotes tordantes), et un super texte, qu’il interprète en compagnie de l’hilarante Sarah Laurendeau et que Philippe Lambert met en scène avec une créativité explosive. Entretien.

Sur une échelle de 1 à 10, Jean-Philippe, à quel point ça vous a rendu heureux de réaliser ce projet et de présenter maintenant le fruit de votre voyage?
En fait, j’étais assez sceptique au sujet de mon travail, je dois l’avouer – et ce n’est pas de la fausse humilité! –, mais je suis vraiment agréablement surpris de l’enthousiasme que ça fait naître chez les gens. Cette surprise mérite un gros 9 sur 10. Je me sens bien! Je m’amuse!

Sur scène, vous saluez le public de La Licorne, qui a choisi votre destination des plus contournables, d’un «Merci, hein!» sarcastico-semi-reconnaissant. Sentiez-vous que vous aviez une responsabilité envers ledit public? Avez-vous pensé à lui souvent durant votre séjour dans ce hameau de l’Illinois?
Oui! Je dois avouer qu’au début, ça m’a fait subir un très gros stress. Les gens avaient trouvé le projet tellement drôle et quasiment épique que je me disais: «Mais qu’est-ce que je vais leur raconter?! Il ne se passe rien! Je n’ai rien à dire! C’était prétentieux finalement! Je ne suis pas le bon gars! Je vais les décevoir! Ça sera tellement banal! Je ne serai jamais à la hauteur des promesses que je leur ai faites!» Mais quand je me suis mis à écrire la pièce, j’ai cessé de penser au public auquel j’allais la présenter.

Vous dressez des listes de plein de choses. Les attractions de Normal (la gare, le Motel 6, le rond-point-thecircle). Les types d’églises qu’on y trouve (baptiste, évangéliste, pentecôtiste). Les sortes de sandwichs qu’on y déguste (cajun, toscan, texan). Êtes-vous un gars de listes?
Oui! (Rires) Je ne fais pas de listes utilitaires au quotidien, mais je finis toujours mes voyages par un rituel: à l’aéroport, au retour, je note tout ce que j’ai vécu. Juste des souvenirs. «Un crayon. Une paire de bas.» Après, quand je relis les mots, les souvenirs me reviennent, comme un polaroïd de tout ce qui s’est passé. Et à Normal je notais tout, tout, tout. La moindre petite niaiserie. J’étais à l’affût du moindre détail croustillant!

Vous dressez également une liste de tous les bâtiments et de tous les lieux auxquels on a accolé le nom de Normal… à Normal. «Normal Police, Normal Library, Normal Street.» Lequel avez-vous trouvé le plus surprenant? Ou poétique?
Je dois avouer que Normal Police, ça m’a vraiment fait rire. Ils sont supposés être les agents de l’ordre, et posséder une espèce de superpuissance, mais là, une «police normale»! C’est comme si ça leur enlevait tout superpouvoir! Je trouvais que ça les rendait très cute. Comme des petits Playmobil. (Rires)

«Après coup, les pires moments laissent souvent les meilleurs souvenirs.» – Jean-Philippe Lehoux, dramaturge et acteur

Comme cette chanson a marqué votre voyage, on entend souvent, au cours de la pièce, l’indémodable Wonderful Christmas Time, de Paul McCartney. Quelle est votre relation avec la musique de Noël en général?
J’ai un SUPER rapport avec la musique de Noël! (Rires) Je ne sais pas pourquoi, depuis trois ans, j’ai retrouvé le goût de tout le côté kitsch de Noël, des décorations, des chansons… J’ADORE le mois de décembre maintenant! Je suis même fatigant avec ça. Même cette toune, qui va énerver bien des gens pendant le spectacle, n’est pas si douloureuse pour moi!

Vous nous offrez quelques savoureux silences doublés de moments de malaise. Lorsque vous arrivez au motel. Lorsque vous vous rendez chez le barbier. Avez-vous peur des silences? Est-ce que votre séjour vous a aidé à les apprivoiser?
J’ai peur des silences quand je suis avec des inconnus, mais pas quand je suis avec des gens que j’aime. Je trouve ça plutôt beau, au contraire. On est dans un monde qui parle tellement que ces moments sont très précieux! Mon père m’a déjà dit: «Tu sais que t’es en amour quand les silences ne sont pas lourds.» Et c’est vrai en amitié aussi.

Comme vous le rappelez sur scène, Google Maps est désormais devenu, aux yeux de plusieurs, une façon de voyager et de «tout voir sans se déplacer». En tant que «voyageur professionnel», que pensez-vous de ce site qui a tout chamboulé?
J’ai avec lui une relation d’amour-haine. Sur une carte classique, il y a moins d’informations… et plus de mystère! T’as juste le nom d’une ville – regarde, il faut se rendre là – et c’est tout. Tandis qu’avec Google Maps, c’est trop détaillé, ça ne finit plus de zoomer, on peut voir chaque détail. Donc, je l’utilise… comment dire? Avec parcimonie. À Normal, je ne m’en suis quasiment pas servi. Je voulais me garder des surprises.

Est-ce que vous vous étiez imposé certaines limites, justement, quant à l’utilisation de l’internet, par exemple, ou aux appels téléphoniques que vous pouviez faire à vos proches?
Non! (Rires) Même que j’ai appelé ma blonde beaucoup plus souvent que je le laisse croire dans le spectacle! Ça faisait du bien. C’était mon seul lien avec l’extérieur. Parce que s’il y a une chose que je ne réussirai jamais à transmettre sur scène, c’est vraiment la longueur temporelle. Douze heures à tuer quand tu n’as rien à faire, c’est vrrrraiment très long! Pis quand ça fait huit jours de suite, c’est vraiment quelque chose! C’est… particulier. Je n’avais jamais vécu ça.

Le moment où on sent vraiment ce temps qui s’étire, c’est quand vous dites: «Aujourd’hui, j’ai passé sept heures dans un parc.» C’est presque… douloureux.
C’est TRÈS douloureux! (Rires) Et en même temps, c’est con parce qu’il n’y a rien là! Je n’étais pas à la guerre, je ne risquais rien! C’était juste un ennui comme on ne s’en impose jamais.

Est-ce que vous diriez que le Motel 6, où vous avez résidé au départ, est devenu un peu votre Chelsea Hotel ou votre Chateau Marmont?
Hmm. Peut-être… C’était quand même mon cocon, où je pouvais me réfugier. Et de fait, c’était très romantique comme relation. Il y avait cette misérable bâtisse, et moi dans cette misérable ville. Je me regardais à travers le Motel 6 en me disant: «Lui, c’est moi.»

Vous racontez vous être senti, pendant un instant, comme Luke Skywalker. Aparté: avez-vous hâte au nouveau Star Wars?
Oui! Oui, oui! Je ne suis pas un si grand fan, mais c’est toujours un événement! En plus, il sortira au début des vacances de Noël, et comme je le disais, maintenant, j’ADORE Noël! (Rires) J’aime les références culturelles à la Star Wars, parce qu’on dirait que ça nous unit tous. Ça nous nourrit dans notre imaginaire occidental. Je trouve que ça fait partie de notre ADN.

Normal
À La Licorne
Jusqu’au 25 septembre

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.