Soutenez

Tickled: Stupeur et chatouillements

Photo: Youtube

Symptômes: vous pensez avoir vu absolument tous les documentaires les plus bizarres sur les sujets les plus inusités, mettant en scène les personnages les plus hallucinés, avec des revirements de situation qui éclatent aux 5 minutes et quart. Diagnostic: vous n’avez probablement pas vu Tickled.

Dans sa Nouvelle-Zélande natale, David Farrier est ce qu’on pourrait appeler une célébrité médiatique. Amateur des choses les plus étranges de la vie, ce reporter télé, né le jour de Noël 1982, a fait de la culture populaire et de l’inusité sa renommée. De Justin Bieber ado à un survivaliste dévorant des grenouilles pour vaincre la faim, David F. a interviewé plein de représentants de l’étonnant.

Mais le jour où il est tombé sur des compétitions de tickling (oui, c’est exact : sur des combats de chatouillements), même lui a été surpris. Et plus il s’est mis à fouiller dans les interstices du web, plus Dave, amusé, a déterré des vidéos de mecs beaux et musclés s’attachant à des lits et se faisant des chatouilles à l’infini. Sa curiosité était telle qu’il s’est dit: «Impératif. Je dois faire un reportage là-dessus.»

Il a donc suivi la procédure habituelle et communiqué avec la firme de relations publiques derrière ces compétitions hors du commun en demandant de couvrir les événements de la ligue et de rencontrer des pros du sport le plus bizarre qu’il ait jamais vu.

Mais à sa requête tout ce qu’il y a de plus professionnelle, le reporter bisexuel, alors en couple avec un homme, a reçu une réponse digne du Moyen Âge (même si elle est arrivée par courriel). «Nous ne voulons surtout pas que notre noble sport soit associé au nom d’un journaliste homosexuel. Et l’idée que des personnes gaies s’intéressent à notre ligue nous rebute.» Hein?

David Farrier étant ce qu’il est (fonceur), ce scandaleux message ne lui a donné qu’une envie: continuer. Surtout lorsqu’il a découvert que la fameuse firme de relations publiques était pleine aux as. Ha. En effet, rien ne l’irrite autant, dit-il, que «les intimidateurs friqués». En compagnie de son ami Dylan Reeve, il a donc décidé de creuser l’affaire et d’en faire son premier documentaire. Il s’attendait à ce que ça dérape. Mais certainement pas à ce point.

Il a reçu des lettres de menaces de la firme lui intimant d’arrêter ses recherches sur les matchs de guiliguilis. Son collègue Dylan a été averti que ses enfants seraient en danger s’il s’associait à ce projet. Un avocat ayant déjà eu un lien avec Magnotta s’est mêlé de tout ça. Au fil de recherches exigeantes, des ex-participants à ces concours de chatouilles ont finalement accepté de témoigner à visage caché. Ils ont confié à la caméra comment leur vie est devenue un cauchemar depuis qu’ils s’étaient laissés attacher et titiller (à la plume ou sans) par d’autres gars comme eux. Et lui qui croyait que ces petits concours étaient rigolos…

De passage à Montréal avec sa bonne bouille, son humeur affable, son accent charmant et son veston coloré, le sympathique David Farrier nous a parlé de son documentaire complètement sauté. «C’est assez étrange, cette histoire, n’est-ce pas?» nous a-t-il lancé en guise d’introduction. Vous nous enlevez les mots de la bouche, David.

UNE David Farrier Tickled_CC

On le voit à l’écran: aux méthodes d’intimidation assez effrayantes qu’ont mises en œuvre les personnes souhaitant vous empêcher de réaliser votre documentaire, vous avez opposé un calme olympien et une absence absolue de peur. Est-ce un contraste que vous souhaitiez exposer dans votre film?
En fait, l’élément principal que Dylan et moi souhaitions transmettre, c’est que tout cela a commencé par une activité qu’on trouvait drôle, bénigne et innocente, qui nous a entraînés dans un monde sombre, terrifiant, dont on ne soupçonnait pas l’existence!

Vous faites ici la démonstration suprême du dicton qui veut que «ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle». Est-ce une idée qui vous a guidé?
Un peu, oui. Et c’est notamment pour ça que c’est amusant de voir ce film au cinéma : parce qu’il y a toutes ces scènes qui vous font s’esclaffer… tout en vous mettant terriblement mal à l’aise. Moi-même, j’ai été chatouillé pour les besoins de la cause! On m’a attaché à une chaise et on a procédé. Pendant 10 minutes. Je peux vous dire que c’est la chose la plus pénible du monde. C’est de la torture. De la torture
par chatouillis. Le film parle beaucoup de pouvoir et de contrôle et cette activité est l’illustration parfaite d’une personne ayant une emprise sur une autre.

Ces hommes massifs, musclés et tatoués se faisant des chatouilles, est-ce un concept que vous trouviez cinématographique en soi?
Totalement! C’est d’ailleurs pour ça que notre directeur photo, Dominic [Fryer], a filmé plusieurs séquences au ralenti. Parce que l’effet est tellement… incroyable! Voir ces corps qui font presque de la lutte, sans toutefois se battre mais seulement en se faisant des guiliguilis, c’est… stupéfiant. Je ne pense pas que le chatouillement a déjà été présenté de façon aussi grandiose sur grand écran! (Rires)

Le fond de l’histoire est vraiment triste, mais quand on entend des termes comme «cellule de chatouillement» ou «empire de la chatouille», on ne peut s’empêcher de sourire…
Mais vous savez que ça existe dans le monde entier, ce genre d’entreprise? Il y en a eu à Montréal. Il y en a partout.

Justement, les tentacules des événements troublants que vous relatez s’étendent dans plusieurs pays. Vous venez bien sûr de la Nouvelle-Zélande. Sentez-vous toutefois que, dans son essence, Tickled est une histoire foncièrement américaine?
Hmm… Je crois que c’est une histoire universelle. Enfin, les thèmes qu’elle explore le sont assurément. Les riches qui exploitent les pauvres, c’est universel. Surtout dans les sociétés occidentales… mais partout ailleurs aussi! Le pouvoir, le contrôle… C’est vrai que le film se déroule majoritairement en Amérique. Mais la perspective est celle de deux Néo-Zélandais. Donc, je n’appellerais pas ça une histoire américaine… Pour être honnête, je ne sais pas comment je la qualifierais!

C’est un film sur la cyberintimidation autant que sur le chatouillement. Aussi étrange cet énoncé puisse-t-il sonner. – David Farrier, reporter et coréalisateur de Tickled

Parmi les endroits où votre enquête vous a menés, il y a Muskegon…
… Un endroit horrible! Je ne vous le conseille pas!

Pourtant, dans votre film, même les immeubles délabrés et les maisons abandonnées de cette ville du Michigan sont splendides. Le fruit d’un travail artistique attentionné?
Oui! Avant de commencer à tourner, on a eu de grosses discussions avec notre directeur photo, qui a un œil incroyable pour les détails, sur la façon dont on présenterait chaque ville où nous allions mettre les pieds. On voulait que chacune d’elles ait un look différent, ce qu’on a réussi à faire à la fois au tournage et au montage. Un exemple : New York, présentée dans toute son opulence et sa richesse, avec des prises qui sont presque vertes, pour évoquer la couleur de l’argent. Puis on aboutit à Muskegon, qui est sombre et délavée, sans vie ni énergie.

Vous nous entraînez aussi sur Hollywood Boulevard. Tout le côté tordu de Los Angeles semble ressortir de ces images au ralenti…
Je voulais effectivement illustrer à quel point, quand on est à L.A., on plonge dans un monde complètement surréel. J’ai toujours été fasciné par cette ville – où les compétitions de chatouillements sont par ailleurs très prisées – tout simplement parce que tout y est tellement faux! C’est le royaume du faire-semblant! Il y a Chewbacca, des scientologues qui distribuent leurs livrets, et nous, on est dans la voiture avec un homme qui, par le passé, a recruté de jeunes hommes pour participer à des combats de chatouillements. C’est hallucinant…

Vous dites : «Il y a quelque chose dans les intimidateurs avec trop de pognon qui me donne envie de ne pas arrêter.» Au pouvoir de l’intimidation et de l’argent, vous répliquez par le pouvoir du journalisme et du cinéma. Est-ce que ça vous a fait du bien?
Oh oui! Absolument! Parce que les pratiques douteuses et dévastatrices pour bon nombre de personnes qu’on révèle dans le film ont cours depuis près de deux décennies! Pour Dylan et moi, faire un documentaire était la meilleure façon de mettre un terme à ces manigances mesquines. On voulait que notre film agisse comme un avertissement. Qu’il pousse, avec un peu d’espoir, les autorités à intervenir. Oui, le cinéma était assurément notre meilleure arme!

Au Cinéma du Parc dès vendredi

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.