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Le système actuel «facilite la vie aux criminels»

MONTRÉAL – Le système actuel qui veut qu’un appel d’offres public soit nécessairement remporté par le plus bas soumissionnaire conforme «facilite la vie aux criminels», croit l’Institut canadien des économistes en construction.

«On a un système de soumissions _ et là, j’ouvre une grande boîte de Pandore _ qui facilite la vie aux criminels. Notre système de plus bas soumissionnaire automatique, barré à tous crins, de notre avis à nous, c’est la façon la plus facile de permettre la collusion», a critiqué le président de la section québécoise de cet institut, Jean Paradis, devant la Commission Charbonneau, lundi.

Selon lui, ce système pose problème parce que les entrepreneurs sont jugés sur le coût du projet soumis et non sur leurs compétences. Ils cherchent donc à réduire les coûts par tous les moyens et la qualité de l’ouvrage est à l’avenant, a-t-il déploré.

«Dans notre système, il n’y a rien qui motive l’entrepreneur à faire un bon travail», a-t-il conclu. Il a beau réaliser le meilleur ouvrage possible, en respectant les coûts et les échéanciers; il peut très bien ne pas remporter l’appel d’offres suivant.

De plus, la qualité des plans et devis laisse à désirer, selon lui, parce qu’on ne donne pas suffisamment de temps au concepteur pour élaborer son projet.

«Il y a des projets où les addendas en cours d’appel d’offres sont plus épais que les documents qui ont été sortis pour l’appel d’offres. On a l’impression qu’on s’en va en appel d’offres, puis qu’on continue à concevoir le projet pendant la période d’appel d’offres, et même parfois pendant l’exécution du projet», a-t-il déploré.

«Aujourd’hui, sur un projet de 4 ou 5 millions $, on peut retrouver 400, 500 ou 600 pages d’addendas. C’est absolument inconcevable», a-t-il illustré.

M. Paradis a soutenu que les architectes et les ingénieurs qui conçoivent les projets n’ont pas une formation poussée pour évaluer les coûts d’un projet de construction.

«Si on regarde la formation de ces gens-là, actuellement ici au Québec, dans la plupart des cas, sauf un cas pour les ingénieurs formés à l’ÉTS (École de technologie supérieure), dans toutes les autres facultés de génie et facultés d’architecture, il n’y a pas de cours en planification, en gestion administrative des contrats _ ou s’il y en a un, c’est vraiment un cours marginal, qui regroupe tout ça dans le même paquet», a-t-il déploré.

«On demande à ces gens-là, qui ont été formés pour concevoir des projets _ et là-dedans ils sont très bons _ de faire un travail pour lequel ils n’ont pas été préparés», a-t-il tranché.

D’autres témoins devant la commission d’enquête ont noté qu’il existe trop peu d’économistes en construction au Québec. Il en existe 1800 au Canada, mais seulement 160 au Québec, a précisé M. Paradis.

Au Québec, la moitié d’entre eux sont des estimateurs en construction certifiés et l’autre moitié sont des économistes en construction agréés. Malgré leur appellation, ces derniers ne sont pas des économistes; l’Institut utilise ce terme parce que c’est l’appellation utilisée en Europe, a rapporté M. Paradis. La plupart ont plutôt une formation d’ingénieur, d’architecte ou de technologue et une expérience dans la construction.

Du privé dans les bureaux de la Ville

De son côté, le Syndicat professionnel des scientifiques à pratique exclusive de Montréal a dénoncé la perte d’expertise et d’expérience à l’interne dans le domaine du génie et le recours en conséquence aux firmes de génie-conseil.

Le président du syndicat, André Émond, a soutenu que malgré ce qui a été révélé à la Commission Charbonneau, encore aujourd’hui, le recours aux firmes privées de génie est fréquent. «On continue de donner des activités ultra stratégiques, des informations privilégiées» à des représentants de ces firmes, a-t-il soutenu.

De telles informations permettent ensuite de se préparer pour les appels d’offres publics. «C’est littéralement le carnet de commandes pour l’ensemble de l’île de Montréal qui est donné au privé», a-t-il opiné.

Selon M. Émond, au moins un employé d’une firme privée travaille même dans les bureaux de la Ville, où il côtoie des fonctionnaires.

La juge France Charbonneau s’en est étonnée, d’autant plus que, selon M. Émond, la Ville emploie quelque 400 ingénieurs.

À son tour, le Syndicat des professionnels municipaux a renchéri, soulignant que la situation est similaire dans le domaine informatique où, là encore, la Ville doit recourir au privé, faute d’expertise interne.

«J’avais des officiers syndicaux dans les sections de l’informatique où, souvent, ils me disaient qu’une personne sur deux dans leurs bureaux n’étaient pas des professionnels (de la Ville), mais des consultants. Et on parle du secteur de l’informatique où il y a beaucoup d’accès à de l’information», a déploré Gisèle Jolin, présidente de ce syndicat.

«Les consultants sont à ce point intégrés à la Ville qu’ils sont dans les bureaux de ville, à occuper des espaces où les professionnels travaillent côte à côte. Et ils ne sont même pas conscients que c’est un consultant, tellement ça fait partie des façons de faire», a résumé Mme Jolin.

La commission d’enquête vient ainsi de terminer la phase de ses travaux qui consistait à entendre les groupes intéressés à différents aspects de son mandat. À compter de mercredi, elle entendra des experts.

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