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Quand le désintérêt et le cynisme minent le vote des jeunes

Photo: Getty Images/Hemera

Aux dernières élections provinciales, seulement 41 % des 18-24 ans et 45 % des 18-34 ans se sont rendus aux urnes. Cette situation préoccupe particulièrement le Directeur général des élections du Québec (DGEQ), au point qu’il a mandaté l’Institut du Nouveau Monde (INM) afin de poser un diagnostic et de proposer des pistes. Métro a obtenu en primeur l’étude produite par l’INM et s’est entretenu avec son auteure, Geneviève Baril.

Le Québec est-il le seul endroit où on observe un faible taux de participation des jeunes aux élections?
Non; à l’échelle du Canada et dans d’autres pays occidentaux, c’est une tendance qui s’observe. Les études d’André Blais montrent cette diminution au Canada de 1960 à 2004. À la fin des années 1960, les premiers votants étaient autour de 70 % à se prévaloir de ce droit. En 2004, ils étaient autour de 34 %. Depuis 1970, ça dégringole, avec un déclin plus marqué depuis les années 1980.

Qu’est-ce qui explique ce phénomène, selon votre étude?
La raison principale en est le manque d’intérêt. Nous avons sondé les jeunes au cours de notre école d’été et, selon eux, ce peu d’intérêt provient du manque d’éducation civique. On n’apprend pas le fonctionnement de nos institutions, on connaît mal les partis politiques, les candidats, les enjeux pendant une campagne. Et tout ça contribue à alimenter le manque d’intérêt. La chose publique et l’exercice du droit de vote ne font pas partie de l’écran radar des jeunes.

Les autres générations s’intéressaient davantage à la politique?
La socialisation politique des jeunes est moins présente qu’avant. On n’écoute plus les bulletins de nouvelles en famille, on ne prend plus les repas ensemble, on ne va plus voter en famille. En raison de leurs études, les jeunes n’habitent plus chez leurs parents et quittent leur circonscription d’origine.

À cela s’ajoute le cynisme ambiant, qui s’observe particulièrement chez les 25-34 ans. On entend constamment parler de corruption et cela fait en sorte que des jeunes se demandent à quoi ça sert d’aller voter. Il y a une perte de confiance envers les partis.

Beaucoup de jeunes critiquent aussi le mode de scrutin. Ils se disent qu’ils ne voient pas l’intérêt d’aller voter, car dans plusieurs comtés, les dés sont pipés. Et puis, on vit à une époque où notre niveau de vie est relativement confortable; les grandes batailles ont été menées il y a 40 ans, et les programmes des partis politiques comptent plutôt des nuances sur la manière de gouverner l’État, ce qui interpelle peu les jeunes.

Mais le conflit étudiant a-t-il fait réaliser aux jeunes l’importance de s’intéresser à la politique?
On observe depuis peu un retour de la gauche et de la droite, alors qu’auparavant c’était plutôt l’axe souverainiste-fédéraliste. Peut-être qu’on va revenir à des débats idéologiques sur le rôle de l’État dans notre société. La crise permet aussi de révéler aux jeunes que les résultats des luttes du passé ne sont pas acquis. Ça peut amener les jeunes à réaliser que, s’ils ne s’intéressent pas à la politique, le politique s’intéressera à eux.

Est-ce qu’en vieillissant les jeunes s’intéressent un peu plus à la politique?
Non. C’est pourquoi il est important d’y réfléchir, car si on ne vote pas entre 18 et 21 ans, on est plus susceptible par la suite de ne pas voter. Si le taux général de participation diminue, c’est principalement dû aux premiers votants qui ne votent pas la première fois. Ça a des répercussions plus tard. De 1945 à 2000, on est passés de 75 % à 61 % au Canada. Les études montrent qu’en vieillissant, les jeunes votent moins que leurs aînés.

Quelles solutions proposez-vous?
Les jeunes sondés parlent d’augmenter l’éducation civique. Concrètement, on pourrait instaurer ces cours dès le primaire. Il pourrait y avoir des cours obligatoires au cégep sur le sujet. À l’heure actuelle, les jeunes qui ne prennent pas le parcours sciences humaines n’ont pas de cours de science politique alors que c’est à cet âge qu’ils commencent à voter.

Quand un jeune est en contact avec les candidats et les élus pendant les campa­gnes électorales, il est aussi plus susceptible d’aller voter. On propose donc que des débats soient organisés entre les candidats locaux dans les établissements postsecondaires. Les pays scandinaves, qui ont des taux de participation chez les jeunes de 60 à 75 %, misent sur les simulations parlementaires dans le cadre du cursus scolaire et sur les cours théoriques touchant le fonctionnement de leurs institutions.

On pourrait aussi instaurer un nouveau mode de scrutin qui introduirait des éléments de proportionnalité. De cette façon, les gens verraient que leur vote compte, même s’ils sont dans un comté qui est un château fort d’un parti.

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Les libéraux se sont opposés à l’installation de bureaux de vote dans les établisse­ments scolaires. Cette mesure était-elle importante?
Quand on fait face à des taux de participation si dramatiques, on doit se poser des questions en tant que société. Dans une démocratie, c’est dangereux de voir le taux de participation diminuer surtout quand la cause principale en est l’abstention des premiers votants. En 2008, on a atteint un plancher historique avec un taux de participation général de 57 % au Québec. Il y a des questions à poser à nos gouvernants. Et à mon sens, il faut tout faire pour favoriser la participation des jeunes.

Les partis politiques parlent beaucoup de solutions touchant l’accessibilité aux bureaux de vote, mais cela ne réglera pas le problème du manque d’intérêt.
Les bureaux de vote dans les établissements scolaires représentent une des solutions. Si on veut favoriser le vote des jeunes, il faudra réfléchir à ça. D’ailleurs, il en existe [des bureaux de vote] pour les personnes âgées en hébergement.

N’y a-t-il pas un risque que, si on favorise le vote des jeunes, leur représentation soit disproportionnée?

Les jeunes sont si peu nombreux que ça m’étonnerait. Ceux qui votent le plus sont les 55 ans et plus, les baby-boomers. Les jeunes ont l’impression que les partis politiques s’adressent à leurs aînés, et avec raison. Il y a un calcul politique de la part des partis. Les jeunes sont en ville et, de plus en plus, les élections semblent se gagner en région, où les populations sont plus vieilles. Il y a une fracture entre générations qu’il faut colmater.

***

Pourquoi?
Les raisons invoquées par les jeunes pour ne pas voter :

  • 18-24 ans:

    • Désintérêt
    • Trop occupés
    • Pas inscrits sur la liste électorale
  • 25-34 ans :

    • Manque d’intérêt
    • Trop occupés
    • Cynisme

Ce que les deux grands partis proposent

  • Parti libéral du Québec
    Michel Rochette,responsable des communications

Métro a tenté de parler au premier ministre Jean Charest, responsable de la jeunesse. Mais son attaché Hugo D’Amours a répondu que ces questions relevaient plutôt du directeur des communications du PLQ, Michel Rochette.

Pourquoi avez-vous refusé la proposition d’installer des bureaux de scrutin dans les établissements scolaires?
Il y a une question d’équité. Quand on change des règles électorales démocratiques, il faut que ce soit au bénéfice du plus grand nombre. Et le vote hors circonscription s’adresse à tous les électeurs, ce qui inclut les étudiants. On ne peut favoriser une catégorie de population au détriment des autres.

Mais les personnes âgées peuvent voter dans leur centre d’hébergement.
Pour les personnes âgées à mobilité réduite, il faut savoir que ce n’est pas systématique. La personne doit remplir des formulaires pour lui permette de voter depuis sa chambre d’hébergement. Ce n’est pas comme s’il y avait un bureau de vote. Alors que l’étudiant, tout ce qu’il a à faire est de se rendre dans un bureau de vote tout près de son université. Une des mesures mises en place par le DGEQ, et qui a fait l’unanimité, est le vote hors circonscription. Un jeune qui réside à Sherbrooke, mais qui étudie à Montréal, peut aller au bureau de vote dont il est le plus près physiquement pour voter à distance. Ça existe depuis décembre, et c’est pour tous les électeurs.

Que faire pour intéresser les jeunes à la politique?
Longtemps, on a compté sur les médias de masse. Les jeunes ont des habitudes différentes et sont davantage sur les réseaux sociaux. On a beaucoup travaillé là-dessus. On est davantage sur Twitter, Facebook, sur le web, on produit des vidéos, on est plus accessibles et on rend plus comestibles les messages politiques. Mais même si les médias sociaux ont plein de vertus, ils ont un mauvais côté : on ne contrôle pas la qualité de l’information et il y a des dérapages. Il faut redoubler d’ardeur pour corriger le tir et parfois ça crée de mauvaises perceptions. Ça peut causer du cynisme.

  • Parti québécois
    Mathieu Traversy, candidat dans Terrebonne, porte-parole de l’Opposition officielle pour la jeunesse

Que ferait le PQ, s’il était élu, pour encourager le vote des jeunes?
Rendre le vote accessible aux jeunes est une clé qui pourrait aider grandement. Il faudrait davantage de sensibilisation. On peut recommencer à donner des cours d’histoire nationale au secondaire, favoriser la formation et la promotion de la citoyenneté québécoise et de nos institutions démocratiques. Les jeunes doivent prendre conscience, dès le secondaire, de l’importance de participer aux élections. On pense au PQ que, si on peut conscientiser les jeunes le plus tôt possible et s’ils vont voter à 18 ans, il y a plus de chances qu’ils répètent l’expérience que s’ils manquent leur premier rendez-vous.

Avec les crises, les jeunes ont vécu un cours en accéléré. Je pense qu’ils ont compris que s’ils ne s’occupent pas de la politique, la politique s’occupera d’eux, peu importe leurs allégeances.  Il faut que ce débat aille au-delà de la partisanerie.

Il faut redonner confiance en nos institutions, il y a beaucoup de cynisme. Le fait de ne pas avoir d’élection à date fixe montre le plan de match électoraliste des libéraux; le PQ veut changer ça, tout comme il veut réformer le financement des partis politiques et être plus transparent.

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