Soutenez

Un individu, deux identités

Photo: Collaboration spéciale

En arrivant au Québec, beaucoup d’homosexuels d’origine africaine ou caribéenne se sentent déchirés entre deux réalités: faire partie de leur communauté ethnique ou de la communauté gaie.

Jules* a toujours su qu’il était attiré par les garçons. Toutefois, avant d’arriver au Québec, il ne savait pas que le mot «homosexualité» existait pour désigner son orientation sexuelle. Le mot «homophobie», il ne le connaissait pas non plus. Dans son pays d’origine, en Afrique centrale, c’était comme si l’homosexualité n’existait pas.

Quand il avait 10 ans, Jules est venu s’installer au Québec avec sa mère, ses frères et sa sœur. C’est en entendant les autres élèves, ici, se traiter de «fifs», de «tapettes» ou de «pédés», qu’il a compris non seulement que ses sentiments particuliers pour les garçons avaient un nom, mais surtout qu’il fallait les cacher.

«Ç’a été un gros choc culturel», confie Jules, aujourd’hui dans la vingtaine. Il se rappelle son premier cours de formation personnelle et sociale (aujourd’hui aboli par le ministère de l’Éducation), où l’infirmière avait abordé la question de l’homosexualité. «C’était la première fois que j’en entendais parler. Je voulais poser plein de questions, mais j’avais trop peur d’avoir l’air stupide.» En arrivant chez lui, il a sauté sur le dictionnaire pour regarder la définition du mot homosexualité. «Quand j’ai lu ça, j’ai su que j’étais gai», raconte le jeune homme.

Beaucoup d’homosexuels d’ori­gine africaine se sentent désemparés en arrivant au Québec. Certains d’entre eux viennent vivre ici parce qu’ils savent qu’il y a des lois contre l’homophobie et que la majorité des gens accepte l’homosexualité. Mais quand ils arrivent ici, ils sont souvent déchirés entre deux réalités: faire partie de leur communauté ethnique ou de la communauté gaie.

Alexis Musanganya est le directeur général d’Arc-en-ciel d’Afrique, un organisme mont­réalais qui vient en aide aux lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres (LGBT) d’origine africaine ou caribéenne. Selon lui, la majorité des immigrants africains homosexuels choisit la première option et doit donc cacher leur homosexualité pour ne pas se faire rejeter par sa communauté ethnique. «Ces gens vivent une détresse et un grand isolement», cons­tate M. Musanganya.

Jules a donc caché son homosexualité durant son adolescence. Quand il a finalement fait son coming out à sa mère, alors qu’il était au cégep, celle-ci a dit regretter de l’avoir amené ici, parce qu’il s’était fait influencer par les pensées libertines québécoises. Elle a essayé de le faire exorciser par un pasteur spécialiste. Quand Jules a refusé, sa mère lui a posé un ultimatum : ou il «redevenait comme avant», ou il s’en allait. Jules est donc parti dans un foyer pour jeunes. Il a arrêté les études pendant un an, a économisé de l’argent et s’est trouvé un appartement. Puis, il est retourné à l’école.
«Pour certaines familles immigrantes, avoir un enfant homosexuel, c’est comme avoir un enfant qui consomme ou vend de la drogue», constate Rachida Azdouz, spécialiste en relations interculturelles à l’Université de Montréal.

Pour tenter d’anéantir cette perception chez les immigrants d’origine africaine ou caribéenne, Alexis Musanganya organise plusieurs activités de sensibilisation et de lutte à l’homophobie dans ces communautés avec Arc-en-ciel d’Afrique, en partenariat avec le Groupe de recherche et d’intervention sociale de Montréal (GRIS). Il se rend dans des centres communautaires pour rencontrer des nouveaux arrivants et leur expliquer les droits des homosexuels ici.

Selon Rachida Azdouz, pour sensibiliser les immigrants dont le pays condamne l’homosexualité sans avoir l’air condescendant ou raciste, il faut leur raconter notre cheminement en tant que société québécoise. «C’est important de leur expliquer que nous aussi, on a fait du chemin. Nous aussi, comme eux, on a condamné l’homosexualité. Mais on a fait tout un cheminement et, maintenant, on l’accepte. Il ne faut pas leur faire sentir qu’ils sont barbares et que nous sommes un peuple moderne.»

Le directeur général de l’organisme considère que le succès d’Arc-en-ciel d’Afrique repose également sur le fait que les membres y retrouvent une certaine identité. «Une identité multiethnique, ça n’existe pas, plaide-t-il. Personne ne se reconnaît dans un organisme qui regroupe tous les immigrants.»

Pour Rachida Azdouz, les groupes gais multiethniques devraient allier leurs forces à la communauté gaie au lieu de s’isoler. «Je trouve ça dommage parce qu’ils s’auto-excluent», affirme-t-elle. Mme Azdouz rappelle qu’au Québec, les droits des LGBT ont avancé parce que plusieurs d’entre eux se sont mêlés à la société.

Jules, lui, a un pied dans chacun des deux mondes. Il s’est souvent senti déchiré entre ses deux «identités». «Je sentais que je devais choisir : soit j’étais Africain et je reniais mon homosexualité, soit j’étais gai, je me faisais assimiler par la communauté gaie et je reniais ma culture africaine», explique-t-il.

Jules rend visite à sa mère de temps en temps, mais jamais ils n’abordent la question de son orientation sexuelle. Il a tout de même espoir qu’un jour, elle finisse par accepter sa différence. «Je veux avoir des enfants, une famille, confie-t-il, les yeux rêveurs. Et je sais qu’à ce moment-là, ma mère voudra faire partie de ma vie. Ça lui donnera l’impression que je suis normal, en quelque sorte.»

*Métro a changé le nom de la personne ayant témoigné pour préserver son anonymat.

Dans les écoles: Un milieu difficile

Jules fait maintenant de la sensibilisation dans les écoles secondaires pour GRIS Mont­réal. L’organisme l’envoie souvent dans des écoles multiethniques, pour raconter son expérience aux adolescents.

«Quand c’est un Blanc qui va faire des conférences dans des écoles multiculturelles, ça passe vraiment moins bien. Pour eux, c’est comme si tu venais leur imposer quelque chose dont ils ne veulent rien savoir. Et l’intervenant aussi est frustré, parce qu’il se sent victime de racisme», raconte-t-il. Jules considère que, souvent, les enfants sont beaucoup plus tolérants que leurs parents, qui n’auraient pas grandi ici, par exemple. Malgré tout, il est convaincu qu’il reste encore beaucoup de travail à faire auprès des jeunes.

Le milieu scolaire est encore l’endroit où l’homophobie fait le plus mal, croit Line Chamberland, professeure en sexologie à l’UQAM, spécialisée en études lesbiennes et gaies. «C’est très dur dans les écoles. Il y a beaucoup de bousculades, de coups. Cela a un impact important sur le plan psychologique, pour les jeunes en développement», constate-t-elle.

[pullquote]

«Je ne leur ai pas donné le choix.»

Laurent Maurice Lafontant a 26 ans. Il est responsable du comité jeunesse pour Arc-en-ciel d’Afrique. Laurent a quitté Haïti il y a 11 ans pour venir s’installer au Québec. À 19 ans, il a décidé de faire son coming out auprès de sa famille. Métro s’est entretenu avec lui.

Est-ce que ç’a été difficile lorsque votre famille a appris que vous étiez homosexuel?
Un peu, oui. Ma famille ne m’a pas rejeté, mais l’acceptation a été difficile. C’est vraiment tabou. Ma mère tenait vraiment à ce que je change, que j’aille voir des prêtres ou des psychologues pour me «guérir». Elle disait qu’elle ne m’avait pas élevé pour devenir gai, ou bien elle voulait que je me marie quand même et que je sois bisexuel, pour sauver l’image de la famille.

Comment avez-vous réagi?
J’ai refusé de faire ce que ma famille voulait que je fasse. À ce moment-là, j’avais un chum et je voulais continuer ma relation avec lui. C’était très important pour moi d’afficher qui j’étais, je ne voulais pas vivre une vie cachée. C’est un malaise qui n’a aucune raison d’être, et je ne voulais pas contribuer à ça. Je me suis imposé, mais à la longue, quand ma mère a vu que je ne changeais pas, elle a fini par «accepter». Parce que, malgré tout ce que ma famille me dit, je continue à m’impliquer et à m’afficher. Quelque part, je ne leur ai pas vraiment donné le choix!

Vous êtes-vous senti seul lors de votre coming out?
Oui. À l’époque, je gérais ça tout seul, je n’étais pas impliqué dans aucun organisme. J’avais mon chum et quelques amis… Mais mon chum était québécois, sa famille acceptait complètement son homosexualité, et j’étais bien plus accepté dans sa famille. Je ne pense pas qu’il pouvait réellement comprendre l’ampleur de ce que je vivais.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.