Des avocats dénoncent du profilage racial à Montréal-Nord
Alors qu’une juge vient d’acquitter deux jeunes de Montréal-Nord en évoquant des arrestations «illégales et arbitraires», deux avocats dénoncent le profilage racial qui sévirait toujours à Montréal-Nord.
«Trop souvent, des jeunes de Montréal-Nord sont arrêtés pour des vérifications de routine, les policiers fouillent leur voiture sans mandat. Parfois le ton monte, il y a des agressions verbales puis on les accuse d’entrave ou de voies de fait. Le mal est fait, ils entrent dans le système, ont du mal à trouver un emploi, peuvent traîner dans la rue et se criminalisent. C’est un engrenage», dénonce Me Myriam Moussignac.
Cette dernière a défendu mardi au Palais de justice de Montréal deux jeunes de l’arrondissement, accusés de menaces et d’intimidation auprès des forces de l’ordre le 20 septembre 2013. Présents dans un salon funéraire pour saluer la famille de Jean-Romel Victor, ex-membre d’un gang de rue tué en prison, ces jeunes, non-criminalisés au moment des faits, ont été pris en photo par des membres de la Section Enquête du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Ces policiers, dans des témoignages jugés contradictoires par la juge Juanita Westmoreland-Traoré, ont ensuite affirmé que ces jeunes les auraient insultés avant que l’un d’eux ne simule, avec sa main pointée vers eux, un pistolet tout en émettant le bruit sonore d’un coup de feu. À leur départ, une bouteille d’eau à moitié vide aurait également été lancée sur la vitre arrière du véhicule de police, sans provoquer de dommage matériel.
Des accusations niées par les deux jeunes inculpés, dans un témoignage jugé «crédible» par la juge Traoré, précisant que «l’impolitesse n’est pas criminalisée».
Les forces de l’ordre ont ensuite prévenu leurs collègues de la section Eclipse, experte en matière de criminalité de violence, afin de procéder à une interpellation qui s’est conclue notamment par des coups portés contre l’un des jeunes et une non-lecture immédiate des faits reprochés. Une arrestation «illégale et arbitraire» selon la juge Traoré, qui a finalement acquitté les accusés.
«Un combat que nous devons continuer de mener»
Ces faits ne seraient qu’un exemple de pratiques «récurrentes» à Montréal-Nord, selon Me Carl-Henry Dominique, l’un des avocats de la défense. «Les policiers viennent refaire leur album photo, c’est du profilage racial», clame-t-il.
Un terme rejeté par la juge Traoré connue pourtant pour avoir évoqué pour la première fois au Québec en matière criminelle cette pratique dans l’affaire Campbell, en 2005. Cette preuve «ne peut se faire directement», mentionne-t-elle, au regret de Me Dominique, qui travaille en collaboration avec l’organisme nord-montréalais Evolu-Jeunes.
«Jamais un policier ne dira qu’il a arrêté un jeune, car il est noir et qu’il veut le ficher. C’est un combat que nous devons continuer de mener. Prouver le profilage racial est très difficile, mais il faut sensibiliser les gens et les juges. Les droits de toutes les personnes, même à Montréal-Nord, doivent être respectés.»
Présents lors de cette audience, ces jeunes Nord-Montréalais évoquent «un fardeau à vivre». «C’est désolant, car j’explique tous les jours à des jeunes que la police est là pour les aider», soupire Jethro Moïse, 29 ans, intervenant jeunesse, qui n’a jamais subi de condamnation par le passé. Ce dernier n’a pourtant déposé aucune plainte en déontologie policière. «La peur de représailles», indique Jonathan Benjamin, 30 ans, ex-agent de sécurité. Depuis que j’ai 18 ans, je me fais régulièrement arrêter. Mais si je les menace, si je vais porter plainte, que vont-ils me faire?»