Soutenez

Vaincre les néonazis: histoire d’un succès

Photo: MWN

Iéna, Allemagne. Si cette ville de l’est de l’Allemagne a été un creuset du radicalisme au cours de la dernière décennie, les immigrants qui y vivent peuvent aujourd’hui marcher seuls dans ses rues sans crainte d’être attaqués. Ce n’est pas la police qui a eu raison des militants d’extrême droite, mais bien les résidants. Voici comment ils y sont parvenus.

«Je n’ai plus peur de marcher seul maintenant, dit Jannik Kirchner, un étudiant de 19 ans défenseur des droits des immigrants. Le seul moment où je fais preuve de prudence, c’est quand je sais qu’il y a eu un concert rassemblant des extrémistes de droite et que j’ai à revenir seul à la maison ce soir-là.»

Iéna, qui a été jusqu’à récemment le centre des activités d’extrême droite en Allemagne, prétend maintenant au titre de ville exempte de néonazis. «Aujourd’hui, Iéna est vue comme un modèle de lutte contre le nazisme, note Janine Patz, coordinatrice anti-extrémisme de la ville. Les résidants vivaient de la frustration à cause des extrémistes, et les milieux d’affaires ont réalisé que cela nuisait à l’image de la cité, explique-t-elle. Des citoyens ordinaires se sont levés et ont envahi les trottoirs pour protester contre les festivals néonazis qui se tenaient ici.»

Dans le passé, les écoles d’Iéna niaient la menace que pose ce radicalisme. Maintenant, elles s’échinent à le prévenir. Des élèves du secondaire ont passé une année entière à étudier tous les aspects du Troisième Reich. Ils ont visité le camp de concentration de Buchenwald. Si des enseignants remarquent des sympathies nazies chez des élèves, ils font appel à une armada d’organismes qui viennent donner des ateliers sur place.

De son côté, la ville offre régulièrement des cours portant sur la tolérance, en les présentant aux jeunes comme des événements sportifs. Quand les néonazis font des graffitis sur les murs des écoles, les élèves unissent leurs efforts pour les effacer. «Les néonazis sont peut-être des gens qu’on peut fréquenter, mais leur idéologie est si dangereuse qu’il faut s’y attaquer sévèrement, fait valoir Franz Beensen, un élève du secondaire âgé de 16 ans. Bien sûr, on ne peut empêcher quelqu’un d’avoir ces pensées, mais on peut faire en sorte que les néonazis ne se sentent pas les bienvenus dans notre ville. À la fin, j’espère que les liens entre l’Allemagne et le nazisme disparaîtront. J’en ai assez de voir des Grecs dessiner des moustaches à la Hitler sur les photos d’Angela Merkel.»

La lutte qu’a menée Iéna contre les extrémistes de droite est un mouvement populaire. Au cours de la campagne électorale de 2009, après un rassemblement à Iéna du Parti national-démocrate (PND, extrême droite), des résidants locaux ont bloqué l’accès au garage où les membres du PND avaient garé leurs voitures. Ils ont tenu le siège pendant si longtemps que le groupe a manqué un autre événement.

Maintenant, quand le PND demande un permis pour tenir un événement dans la ville, les autorités municipales coulent l’information à des organisations civiles. Une masse de citoyens organise alors spontanément des rassemblements contre ces initiatives. Le maire de Iéna a même créé un réseau intermunicipal où des alertes sont données quand un événement extrémiste se prépare. «Je sais qu’il y a bien d’autres problèmes dans le monde, dit Jannik Kirchner. Mais, personnellement, je ne peux faire grand-chose pour régler la crise de l’euro. Je peux cependant faire quelque chose pour contrer l’extrême droite.»

L’ancien quartier général des néonazis à Iéna, la «maison brune», est maintenant vide et abandonné. Aux dernières élections locales, le PND a perdu sa représentation au conseil municipal. Cela ne veut évidemment pas dire que l’Allemagne a gagné la bataille contre l’extrême droite : le PND a fait élire des représentants dans d’autres villes. «Mais maintenant, si quelqu’un porte un t-shirt néonazi à l’école, nous essayons de lui parler, plutôt que de laisser les professeurs interdire le t-shirt, explique Friederike Stoetzer, une étudiante de 19 ans. Il faut montrer qu’on veut comprendre cette personne, même si on désapprouve son idéologie.»

L’embourgeoisement des radicaux attire de nouveaux adeptes
«La plupart des gens disent ne pas être d’accord avec les idées de l’extrême droite. Mais sous la surface, plusieurs sympathisent avec le mouvement, observe Gesine Schubert, une étudiante de 16 ans. En conséquence, les extrémistes tentent de mobiliser les gens en adoptant un style plus bourgeois.»

Les dirigeants du Parti national-démocrate (PND, extrême droite) portent des complets et des cravates, comme les représentants de n’importe quel autre parti. C’est un danger, prévient Janine Patz, coordinatrice anti-extrémisme de la ville de Iéna : «Les extrémistes réalisent cependant que leur stratégie bourgeoise ne fonctionne pas, alors ils se rabattent sur des actes de provocation.»

Un drapeau lourd de sens
Au cours d’événements sportifs d’envergure, comme l’Euro, les Allemands se sentent autorisés à agiter le drapeau de leur pays, mais pas dans d’autres circonstances. «À cause des néonazis, on continue d’associer l’Allemagne à Hitler, dit Franz Beesen, un étudiant du secondaire. C’est vraiment ennuyeux. Et dès que quelqu’un est un tant soit peu conservateur, il est associé à l’extrême droite. Le néonazisme est extrêmement néfaste pour l’Allemagne.» Une autre étudiante, Gesine Schubert, ajoute : «Aucun politicien allemand n’oserait se dire fier de l’Allemagne.»

Une source d’inspiration
De quelle façon l’extrémisme a-t-il évolué à Iéna, au cours des 20 dernières années?
Il y a 20 ans, le mouvement était beaucoup plus vigoureux ici que dans d’autres villes, même s’il était constitué d’une centaine de néonazis dans une municipalité de 100 000 habitants. Il y avait des violences entre partisans de l’extrême gauche et de l’extrême droite. Il reste toujours des extrémistes ici, mais beaucoup moins.

Pourquoi ce déclin?

Les gens se sont mis à réagir, et la ville a également mis sur pied un projet contre la discrimination. La lutte contre l’extrémisme est devenue une priorité de la ville et de ses habitants, avec des programmes de prévention dans les écoles et des tournées subventionnées par la municipalité dans d’autres villes. Aujourd’hui, Iéna est une source d’inspiration contre l’extrémisme.

Quelle est votre recette?
Les dirigeants doivent encourager les citoyens à agir, et les municipalités doivent travailler ensemble. J’ai initié le mouvement Villes contre les néonazis : chaque fois qu’un groupe organise un événement, le maire de la ville concernée passe le mot. Les résidants des autres villes arrivent alors en bus pour manifester contre les néonazis.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.