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Ces jeunes féministes musulmanes

Photo: Franck Prevel/Getty

Elles sont ambitieuses et font de la politique. Elles sont aussi musulmanes et fières de l’être. Rencontre avec ces femmes qui préparent l’avenir des pays du Moyen-Orient après le Printemps arabe – et qui bouleversent les perceptions occidentales.

Appelons-la une Margaret Thatcher moderne. En novembre dernier, Jawhara Ettees, une jeune Tunisienne de 26 ans, s’est présentée aux législatives dans la circonscription rurale où elle vit. En dépit de son manque d’expérience politique, elle a battu son rival, un homme plus vieux qu’elle. Mme Ettees est une musulmane – et une des premières députées élues démocratiquement en Tunisie. «Les autres partis ont négligé les villages de ma circonscription, alors j’y ai fait campagne, explique Mme Ettees, qui est aussi la plus jeune parlementaire de Tunisie. Je pensais qu’ils n’accepteraient jamais qu’une femme, en particulier une jeune femme, parle de politique. Mais tout le monde était enthousiasmé par la révolution et était avide de parler de démocratie.»

Le parti de Mme Ettees, Ennahda, a remporté 89 sièges aux élections de novembre dernier, devenant ainsi le parti le plus représenté à la nouvelle Assemblée constituante tunisienne, qui comprend 217 sièges. L’Assemblée s’est vu confier un mandat d’un an pour rédiger la nouvelle constitution du pays. Ennahda compte 41 députées, tandis que les autres partis ont fait élire un total de 20 femmes. «Pour être honnête, j’étais à peu près certaine d’être élue, déclare pour sa part Amel Azzouz, une activiste de longue date qui siège aujourd’hui au puissant Conseil constitutionnel. J’ai adoré la campagne. C’est là qu’être politicien prend tout son sens. Les gens étaient terrifiés après les années Ben Ali, mais je leur ai dit : “Tout comme vous, je suis Tunisienne; je partage vos espoirs.”» Les femmes comme Jawhara Ettees et Amel Azzouz représentent, en fait, le nouveau visage de la démocratie au Moyen-Orient.

Une autre députée d’Ennahda, Mehrezia Labidi, est vice-présidente de l’Assemblée tunisienne. Rappelons par ailleurs que Tawakkul Karman, la fameuse journaliste et activiste islamiste, a remporté le prix Nobel de la paix en 2011 pour avoir mené l’insurrection au Yémen. «Les femmes qui ont fait campagne ont modifié la perception des gens au sujet de ce que nous, islamistes, défendons, explique Mme Azzouz. Nous défendons les droits des femmes.»

«Le Moyen-Orient est très diversifié, note Jane Kinninmont, une spécialiste du Moyen-Orient du groupe de réflexion londonien Chatham House. Les partis tunisiens se sont entendus pour présenter 50 % de femmes aux élections, tandis que l’Égypte a réduit le quota de candidates. Les femmes sont à l’origine de la révolution en Libye et au Yémen.» Elles ont également joué un rôle important dans la révolution iranienne, mais ne sont pas parvenues à disposer d’un plus grand pouvoir politique. «Cette fois, cependant, c’est différent, parce que de nombreuses femmes sont très éduquées, affirme Mme Kinninmont. En Occident, nous exagérons en évoquant l’hostilité des islamistes à l’égard des femmes.»

Les nouveaux parlementaires tunisiens doivent achever leur travail avant qu’un nouveau Parlement, qui siégera quatre ans, soit élu en novembre prochain. «Je me marie dans un mois, alors je ne sais pas encore si je me présenterai, nous apprend Mme Ettees. Mais si la Tunisie a besoin de moi, je serai candidate.»

Rédiger les lois le jour, parler sur Skype avec sa famille le soir
Les parlementaires tunisiens passent trois semaines par mois à Tunis et une semaine dans leur circonscription. Tandis qu’Amel Azzouz rédige les nouvelles lois du pays, son mari – qui est également un activiste de longue date – s’occupe de leur fils de quatre ans. «J’ai évidemment des remords à voir si peu mon enfant, explique-t-elle. Mais nous n’avons pas de temps à perdre! Parfois, nous travaillons jusqu’à minuit et nous n’avons pas d’assistants ni de chauffeur.» Mme Azzouz réfléchit actuellement à la possibilité de se présenter aux prochaines élections, prévues en novembre. «Ce serait un grand sacrifice pour moi, bien sûr, et j’aimerais aussi achever mon doctorat, commente-t-elle. Mais comme dit le proverbe, une belle mort est promise à celui qui se sacrifie. Je peux donc espérer, au moins, une belle mort.»

Lire aussi: Le combat des députées islamistes

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