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Difficile de tirer une leçon de la déroute de Roy Moore

Mike Stewart / The Associated Press Photo: Mike Stewart

MONTRÉAL — Si la déroute de Roy Moore dans la course sénatoriale en Alabama donne un «oeil au beurre noir» à Donald Trump, on ne peut pas si facilement en tirer des conclusions en vue des élections de 2018, met en garde Élisabeth Vallet, chercheure à l’Observatoire sur les États-Unis.

Après que les républicains eurent mordu la poussière dans les élections pour les postes de gouverneur en Virginie et dans le New Jersey, ils ont vu leur majorité au Sénat s’effriter mardi soir.

Le candidat démocrate Doug Jones a décroché le siège auparavant détenu par le procureur général Jeff Sessions, dans un château fort du «Grand Old Party».

Les démocrates semblent avoir le vent en poupe, mais Élisabeth Vallet invite à la prudence dans l’analyse des résultats électoraux d’«un écosystème politique» aussi particulier que l’Alabama.

Elle rappelle que la course, qui opposait un candidat républicain ultracontroversé à un procureur respecté, a pourtant donné lieu à un vote très serré.

Des femmes accusent Roy Moore de les avoir agressées sexuellement il y a des dizaines d’années, alors qu’elles étaient mineures, tandis que Doug Jones est connu pour avoir fait condamner deux membres du Ku Klux Klan, auteurs de l’attentat contre une église de Birmingham qui avait causé la mort de quatre fillettes afro-américaines dans les années 1960.

«L’écart aurait dû être beaucoup plus important. On ne peut pas avoir un prédateur sexuel face à un héros des droits civiques et se demander lequel des deux va gagner jusqu’à la dernière minute», expose-t-elle.

Mme Vallet, qui est également directrice scientifique de la Chaire Raoul-Dandurand, attribue l’issue du vote de mardi à une «agrégation de facteurs»

Si les allégations d’agression sexuelle ont pesé dans la balance, il ne faut pas pour autant minimiser le rôle qu’ont joué la position fermement antiavortement de Roy Moore et ses déclarations-chocs sur l’esclavage.

D’autant plus que l’Alabama se sent «en marge», avec une population à majorité blanche qui se croit assiégée, souligne la chercheure.

«Tous les stigmates de la guerre civile y sont encore extrêmement présents, illustre-t-elle. En Alabama, on a vraiment l’impression d’être dans les États-Unis d’il y a 50 ans. On pourrait presque voir encore où étaient les plantations en fonction de la répartition géographico-ethnique.»

Elle explique que l’électorat y est divisé en deux blocs tranchés, campés sur leur position: d’une part, les chrétiens évangéliques blancs et de l’autre, les Afro-Américains, qui n’avaient pas connu une mobilisation aussi forte depuis la campagne de Barack Obama en 2008.

Des groupes-pivots ont cette fois basculé dans le camp de Doug Jones, relève-t-elle, citant en exemple les «soccer moms», ces femmes blanches qui ont un diplôme universitaire et qui avaient pour la plupart appuyé Donald Trump.

«Le mouvement #metoo a peut-être percolé jusqu’en Alabama, ce qui n’est pas une mince affaire», a-t-elle lancé, en entrevue avec La Presse canadienne.

Le président Donald Trump a certainement perdu des plumes en choisissant de donner son appui à Roy Moore après que les allégations d’agression sexuelle eurent fait surface contre lui. Il a même pris part à un rassemblement partisan en Floride quatre jours avant le scrutin, à seulement 30 kilomètres de la frontière avec l’Alabama.

Élisabeth Vallet croit que M. Trump n’en a fait qu’à sa tête, mais doute qu’il s’agissait d’un calcul politique.

«Ce qu’on voit de manière récurrente, c’est que Trump n’écoute pas ses conseillers rationnels, les gens qui ont de l’expérience politique, rappelle-t-elle. Il reste à mon sens encore à démontrer qu’il y a une forme de rationalité dans sa prise de décisions.»

Donald Trump a écrit sur Twitter, mercredi, que si la défaite de Roy Moore aux mains du candidat démocrate «prouve quoi que ce soit, elle prouve que nous devons sélectionner de bons candidats républicains pour augmenter la mince marge à la Chambre des représentants comme au Sénat».

S’il n’y a pas, selon Mme Vallet, de leçon à tirer d’une élection dans un contexte si «caricatural» en vue de 2018, la perte d’un siège au Sénat se fera pour sa part ressentir.

«Le fait d’avoir une majorité encore plus courte, ça veut dire que sur des sujets un petit peu contentieux, ça va être beaucoup plus difficile de faire avancer les choses et ça, par contre, ça peut avoir un impact pour 2018 de manière très nette», a-t-elle signalé.

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