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Les entrepreneures africaines : un succès mondial

Photo: Glin Riley

Les Jimmy Choo d’ Éthiopie

Addis-Abeba. Il y a 7 ans, Bethlehem Tilahun Alemu, alors âgée de 25 ans, a fondé une compagnie de chaussures. Maintenant, elle gère depuis l’étranger son entreprise qui emploie, seulement en Éthiopie, plus de 100 employés à temps plein. Mme Alemu est de cette nouvelle génération de femmes africaines entrepreneures qui bâtissent leur succès dans une économie mondialisée.

Les gens cool au Japon portent des souliers SoleRebels. Tout comme les Autrichiens et les Américains. En effet, ces souliers colorés, faits presque entièrement de matériel recyclé, agrémentent les trottoirs des métropoles du monde entier.

Pour visiter les usines de SoleRebels, on doit sortir d’Addis-Abeba pour rejoindre une route de terre bordée de cabanes. Il faut ensuite suivre une seconde route de terre, encore plus petite. Puis, on frappe à une porte métallique.

C’est ici que règne Bethlehem Tilahun Alemu. «En Éthiopie, les gens portent des chaussures faites avec des pneus recyclés, explique-t-elle. Recycler fait partie de la vie courante, ici. Je me suis inspirée de ça pour créer des souliers modernes.» Autodidacte, elle a appris à fabriquer des chaussures. Ce n’est pas seulement la semelle qui est recyclée, mais également le tissu, qui provient de morceaux de jute, de couvertures neuves jetées et même de vieux uniformes d’armée. Plus de 50 % du matériel des souliers SoleRebels est recyclé.

Ça semble parfait, non? Pourtant, être une entrepreneure en Afrique est «dur, dur», selon Mme Alemu. «C’est 20 fois plus dur d’être en affaires ici. Pour une compagnie éthiopienne, c’est très difficile de trouver un marché.» D’une certaine façon, pourtant, l’Afrique est un terreau fertile pour des compagnies vertes comme SoleRebels. Les couvertures et les uniformes sont issus du marché local, et les employés ramassent les pneus sur la route des camionneurs, entre Addis-Abeba et Djibouti.

La liste des entrepreneures africaines est longue : la concitoyenne de Mme Alemu, Eleni Gabre-Madhin, a fondé l’Ethiopian Commodity Exchange. Quant à Divine Ndhlukula, du Zimbabwe, elle a créé et dirige toujours une des premières firmes de sécurité de son pays. Jacqueline Musiitwa, une jeune Rwandaise, a fondé une importante firme d’avocats. Selon le Rapport de la commission sur l’Afrique, «les femmes apportent une plus grande contribution à la vie économique que leurs compatriotes masculins».

Selon une enquête sur les entreprises, à Cap-Vert et au Botswana, les femmes possèdent maintenant plus de la moitié des PME (mais moins de 10 % au Nigéria et en Afrique du Sud). Tout comme Mme Alemu, les entrepreneures africaines sont jeunes : en moyenne, elles ont quatre ans de moins que les hommes.

À l’usine de SoleRebels, les employés nettoient les pneus et les coupent en forme de semelle. Dans une autre pièce, des hommes tissent de la toile de coton. Plusieurs femmes teignent le tissu avec de la terre et des fleurs, puis le coupent et le cousent. Dans une troisième salle, des hommes et des femmes assemblent les chaussures à la chaîne.

«Nous avons beaucoup de gens autour de nous, explique Bethlehem Tilahun Alemu. Ça ne serait pas logique de fabriquer les souliers ailleurs. Après tout, le matériel provient également d’ici.» À côté de la chaîne de montage, on trouve une pile de commandes placées par internet : les souliers sont également vendus dans des magasins en Occident. Mais la connexion internet n’a pas fonctionné pendant une semaine : la directrice a dû utiliser une clé internet mobile.

Mme Alemu a été nommée Femme à observer par le magasine Forbes, et a été désignée Jeune leader internationale par le Forum mondial d’économie.

Bientôt, SoleRebels ouvrira ses premiers magasins à l’étranger : à Taïwan, au Canada, en Autriche, en Suisse et aux États-Unis. «Ma prochaine idée est d’installer des kiosques SoleRebels dans plusieurs villes, ajoute-t-elle. À l’intérieur, on choisit son style et sa pointure, et la commande est automatiquement envoyée à notre usine.»

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Congo. Diriger une agence de recrutement

La République démocratique du Congo : des dictateurs, des guerres constantes, de la brutalité, des viols de groupe – et une agence de recrutement dirigée par une femme. «Il y a beaucoup d’escrocs dans le pays, explique Patricia Gieskes, fondatrice de l’Usine à emploi, située dans la capitale, Kinshasa. Il y a 39 agences de recrutement en RDC, mais quelques-unes ne comprennent qu’un seul homme.»

Mme Gieskes est née en Hollande de parents congolais. Elle a saisi l’occasion de former des jeunes Congolais au travail de bureau et de les mettre en liaison avec des employeurs. Elle a créé une véritable agence de recrutement moderne. «Les jeunes d’ici traînent dans les rues et n’ont rien à faire, souligne Patricia Gieskes. Certaines personnes peuvent difficilement écrire une phrase sans faute. Ils ne savent donc pas rédiger de curriculum vitae, ni s’habiller proprement pour un emploi. L’autre jour, j’avais besoin d’une secrétaire pour un de mes clients. Une fille s’est présentée accoutrée comme si elle sortait en boîte.»

Diriger une compagnie en RDC est un défi. «Je viens d’avoir de nouveaux bureaux, dit-elle. Si on a un gros bureau, les gens vont croire qu’on fait des tonnes d’argent.» Ses affaires vont effectivement bien : elle place près de 600 jeunes travailleurs chaque année. Mme Gieskes, qui est mariée à un Hollandais, observe : «Oui, c’est un effort de travailler ici, mais c’est le cas dans tout nouveau marché. Je souhaite que mes futurs enfants travaillent en Afrique. Si je ne faisais pas cet effort, plus tard, les gens se plaindraient que des étrangers viennent prendre nos ressources.»

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«La donne change en Afrique»

Les Africains sont reconnus pour être des entrepreneurs. Qu’est-ce qu’il y a de nouveau maintenant?
J’ai travaillé avec des entrepreneurs autour du monde, et, oui, les Africains sont très entrepreneurs. Mais il n’y a pas de formation accessible. Et il y a très peu de vieilles compagnies, donc personne ne peut enseigner la gestion.

Mon organisation enseigne aux gens comment créer une compagnie, gérer le temps, négocier, enseigner des valeurs au personnel, bâtir une compagnie intègre… Nous ne travaillons pas avec des entrepreneurs de l’économie informelle.

Qui devient un entrepreneur en Afrique?
Plusieurs le deviennent par manque d’emploi ailleurs. La tragédie de l’Afrique vient du fait que le gouvernement est le moteur de la croissance. Mais les choses changent. Il y a une forte hausse de l’entrepreneuriat parce que les gouvernements échouent. Même les docteurs deviennent des entrepreneurs. Il y a aussi une forte hausse de l’entrepreneuriat dans l’éducation. La donne change en Afrique.

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Techno. Développer de la 3D de classe mondiale

La compagnie Effet de marque compte 45 employés et opère dans les secteurs des communications et la conception graphique. La fondatrice de la compagnie basée à Accra, au Ghana, est Nadia Zeine, âgée de 24 ans. «Nous faisons réellement la meilleur 3D au pays, lance cette élégante jeune femme en veston. Et puisque nous avons un bon prix et une bonne qualité, les clients viennent de partout dans le monde.» Pour appuyer ses propos, elle présente un design qu’Effet de marque a réalisé pour un client.

Mme Zeine, née en Hollande de parents ghanéens, a commencé sa carrière d’entrepreneure avec une compagnie de divertissement à Londres. Cette compagnie s’est effondrée, mais la jeune femme s’est relancée en affaires au Ghana. Elle gère maintenant ses deux compagnies, en plus d’une ONG. «En Europe, il est difficile de voir la portée de ses gestes, analyse-t-elle. J’ai beaucoup de passion et d’énergie, et ici, je peux les utiliser. Par contre, je dois faire de la microgestion et le suivi de chaque petite chose.»

Des murs de béton et des fils barbelés entourent les bureaux d’Effet de marque, et les visiteurs sont accueillis par des gardes de sécurité. «La situation au Ghana peut sembler sinistre, dit-elle. Mais je tiens à être ici, je veux un jour pouvoir être dans une position de pouvoir, pour influencer la politique du continent africain. Bien sûr, je souhaite que nous ayons de meilleurs leaders, plus altruistes. Dans 20 ans, ça sera le meilleur continent au monde.»

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