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Mo Ibrahim : le Bill Gates de l’Afrique

Dessin représentant Mo Ibrahim Photo: Agata Nowicka
Elisabeth Braw - Metro World News

Les téléphones cellulaires transforment l’Afrique. Mo Ibrahim est l’homme qui les a lancés sur le continent. Quand il a remarqué ce nouveau marché dans les années 1990, cet entrepreneur soudanais a mis en place un vaste réseau de téléphonie mobile couvrant l’Afrique de l’Est. En 2005, M. Ibrahim a vendu sa compagnie, Celtel, pour 3,4 G$. Depuis, il concentre ses énergies à transformer l’Afrique en publiant un classement annuel sur la gouvernance – et il offre une récompense annuelle de 5 M$ à un dirigeant africain émocratiquement élu qui a bien gouverné son pays et qui a volontairement quitté le pouvoir.

Mohamed (Mo) Ibrahim
Âge : 66 ans
Expérience : Il est né dans le nord du Soudan. Il a fondé une compagnie de téléphonie mobile, connue sous le nom de Celtel, qui compte 24 millions de clients dans 14 pays africains. Il est un philanthrope qui travaille à étendre la démocratie en Afrique.
Personnel : Il est allé à l’université en Égypte et au Royaume-Uni. Il a une fille et un garçon.
Dans les nouvelles : Il est le fondateur de la Fondation Mo Ibrahim, qui donne 5 M$ annuellement à un leader démocratique africain qui a quitté son poste après avoir bien gouverné.

Il n’est pas étonnant que Mo Ibrahim ait bâti un empire commercial à partir de rien. Il est bouillant, créatif et voit bien la situation dans son ensemble. Quand Métro l’a rencontré pour une entrevue dans son bureau à Londres, M. Ibrahim a traité la journaliste dès le départ comme une amie.

Davantage de pays africains sont stables et leurs économies s’améliorent. Le tour de l’Afrique est-il venu?
Oui. Plusieurs facteurs se réunissent. Le premier élément important a été la fin de la Guerre froide. Les gens parlent du colonialisme comme d’une mauvaise chose pour l’Afrique, mais la Guerre froide l’a été tout autant. Les grandes puissances avaient des clients et elles ont ignoré la démocratie, les droits humains et la bonne gouvernance. Il y a une énorme génération de jeunes Africains qui arrivent pour changer l’histoire de l’Afrique. Le continent a maintenant de meilleures communications, avec des téléphones et l’internet. Les gens peuvent regarder plus de canaux de télévision.

… contrairement au passé?
Oui. Quand j’étais jeune, il n’y avait qu’un poste à la télévision. Il était commandité par le gouvernement et diffusait seulement des choses comme ce que le président prenait pour déjeuner. Il n’y avait pas réellement de médias. Maintenant, nous avons un flux d’information libre. Et la nouvelle génération est beaucoup plus courageuse que la mienne. Ce sont ces jeunes qui ont commencé le Printemps arabe dans le nord de l’Afrique. Naguère, il était impensable que des jeunes puissent renverser des dictatures. Il y a aussi la montée de l’Asie, qui s’accompagne d’une grande demande de matières premières. Au même moment, nous voyons plus de démocratie en Afrique, accompagnée d’une amélioration de l’environnement des affaires. Des emplois sont créés et nous apportent de la prospérité. C’est une grosse tempête, mais elle est bénéfique. Le moment de l’Afrique est arrivé, et nous ne devons pas le gâcher.

La politique est habituellement venue freiner l’entrepreneuriat africain. Est-ce que cela change?
Lentement. Beaucoup d’Africains sont habitués à cette vie, où ils se lèvent le matin et ne savent pas ce qu’ils feront de leur journée. Je pourrais acheter cela, ou vendre cela, ou transporter ceci. Les gens sont prêts à faire n’importe quoi pour nourrir leur famille à la fin de la journée. Mais les lois, la transparence et la diminution de la corruption – tout cela contribue à améliorer la situation. Dans 20 ans, l’Afrique sera différente… et il pourrait aussi changer parce que de jeunes Africains reviennent de l’étranger pour ouvrir des compagnies chez eux. Cela changera-t-il le potentiel commercial de l’Afrique? Oui. Ils ont le savoir-faire, ce dont le continent manquait cruellement. Ils savent comment faire des affaires, comment créer des compagnies. La fuite des cerveaux a été inversée. Un jour, Kofi Annan, qui est Ghanéen, m’a dit : «Mo, il y a plus de chirurgiens ghanéens à New York que dans tout le Ghana.» Mais maintenant, ces personnes qualifiées reviennent en Afrique, parce qu’il y a des opportunités, et qu’on crée des emplois pour les jeunes.

La Chine est très présente en Afrique, mais elle utilise des travailleurs chinois. Est-ce que cela vous préoccupe?
Absolument! La Chine a d’importants projets en Angola, mais elle a importé 250 000 Chinois pour y travailler. Ce pays joue évidemment un rôle important en Afrique, mais il doit apprendre où les pouvoirs occidentaux ont pris fin, pas où ils ont commencé.

Aujourd’hui, presque tous les Africains possèdent un téléphone cellulaire. Est-ce un secteur où le continent pourrait dépasser l’Occident?
Nos vies ont complètement changé dans les 20 dernières années, et je ne peux pas deviner ce qu’elles deviendront dans les 20 prochaines années. Ça sera un monde très différent. Il y a de grands changements dans nos façons de faire des affaires. Aujourd’hui, nous avons l’impression 3D. Demain, on pourrait être à Arusha (en Tanzanie) avec une imprimante 3D pour construire des moteurs de Boeing. Et voyez la démographie. L’Europe est un continent vieillissant. C’est bien que les gens puissent vivre plus longtemps. Un nouveau cœur? Pas de problème. Nous pouvons simplement continuer à renouveler les gens. Mais qui paiera pour ça? Maintenant, regardez l’Afrique, où la moitié de la population a moins de 25 ans. Il y a une énorme quantité de jeunes gens, mais cette précieuse future main-d’œuvre a besoin d’éducation et de formation.

Quels sont les autres défis?
Nous avons besoin de deux choses : du leadership et de la gouvernance. Je ne veux pas simplement dire la fin du vol et de la corruption. Je parle d’éducation, de soins de santé, de règles économiques. Nous avons aussi besoin de leaders visionnaires qui prennent les bonnes décisions et les décisions difficiles. Si nous avons ça, la route devant nous sera parfaitement claire.

Quand l’aide au développement devrait-elle cesser? Maintenant, peut-être?
Nous devons mettre cela en perspective. Les gens considèrent l’aide comme étant le moteur économique principal de l’Afrique. Ça ne l’est pas. Le montant total de l’aide est d’environ 30 G$ par an. Alors que le budget annuel de l’Afrique dépasse les 500 G$. Nous devrions nous concentrer sur ça. Que faisons-nous avec cet argent? Quel pourcentage est dépensé légitimement? Le développement peut être un catalyseur pour la bonne gouvernance. Ça aide les gens à aller dans la bonne direction, mais ça ne permettra pas de construire l’Afrique.

Mo Ibrahim récompense des dirigeants africains exemplaires

Depuis 2005, la Fondation Mo Ibrahim décerne tous les ans un prix prestigieux à un dirigeant africain démocratiquement élu qui a gouverné de manière exemplaire et a quitté la vie politique au terme de son mandat. Le prix est de 5 M$ répartis sur 10 ans et de 200 000 $ par année, à vie.

«Nous voulons mettre en valeur les héros méconnus, explique Ibrahim. Prenez Joaquim Chissano. Tout le monde se demande qui est Chissano. Car les gens connaissent uniquement les mauvais dirigeants africains. En tant que Président du Mozambique, M. Chissano a mis fin à la guerre civile et à libéraliser le pays pour finalement quitter son poste.»

Lauréat du prix l’an dernier, Pedro Pires, du Cap-Vert, a aidé son pays à sortir du groupe des pays les moins avancés, et ne s’est pas enrichi. Lorsqu’il a perdu les dernières élections, il a dû emmener sa famille pour aller vivre dans la maison de sa mère, raconte M. Ibrahim.

«Il est important de nous rendre compte que nous avons des modèles de réussite en Afrique. Je veux que le Prix Ibrahim récompense ce genre de dirigeants. L’Afrique a des héros, mais les gens ne semblent connaître que Nelson Mandela.»

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