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Souffrir mille morts en silence

Elle se tord de douleur. Pleure sans arrêt. Fatima se meurt d’un cancer du sein dans son village du fin fond de l’Inde pendant qu’en Ukraine, Artur dort avec le revolver qui, bientôt, le soulagera de son cancer de la prostate. Les deux crient leur agonie dans un reportage crève-cœur d’Al-Jazeera.

Diffusé sur le site anglais de la chaîne arabe, Freedom from Pain, le documentaire de 24 minutes réalisé par des étudiants de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), met l’accent sur le manque de morphine dans bon nombre de pays pour soulager les douleurs extrêmes.

Produire les 250 tonnes annuelles de morphine est relativement bon marché, et ce n’est pas parce que 80 % du médicament opiacé est consommé aux États-Unis, au Canada et en Europe occidentale qu’il est rare ailleurs. C’est essentiellement pour des raisons culturelles ou bureaucratiques que l’étalon-or des analgésiques n’est pas au chevet des grands malades de la planète.

La morphine est inexistante dans une trentaine de pays africains, et en Inde, un médecin peut se retrouver au cachot pendant un an pour avoir administré de la morphine à un patient. Paradoxalement, ce pays est le premier exportateur d’opium à usage médical.

De manière générale, près de 80 % de la population mondiale, quant elle est malade, souffre mille morts tous les jours à cause du manque d’antidouleurs. Pour Diederik Lohman, de Human Rights Watch, l’accès à ces médicaments doit faire partie des droits humains.

Encore faut-il que l’opinion publique en soit consciente. Sait-elle, par exemple, que de grands malades africains voulant en finir avec leurs souffrances choisissent de se pendre ou de se faire écraser par un camion?

«Une des raisons qui fait que cette question est invisible dans l’espace public, souligne Lohman dans un échange de courriels, c’est que les patients souffrent et meurent chez eux, loin de tous les regards. Ils sont trop malades pour faire connaître leur sort, et leurs proches sont trop occupés à prendre soin d’eux pour crier au secours.»

Selon David Joranson, de l’Université du Wisconsin, bon nombre de gouvernements de pays du Sud sont les premiers responsables des souffrances inutiles de leurs citoyens. «Ils sont convaincus que leur donner de la morphine les rendra dépendants, déclare-t-il lors d’une entrevue téléphonique. Le soulagement des malades ne recueille pas autant d’attention que la guerre contre la drogue.» Le professeur à la retraite a consacré toute sa vie à cette question oubliée de l’actualité.

Près de la moitié des personnes atteintes du cancer dans le monde vit dans les pays pauvres. Quand les cris de Fatima et d’Artur seront entendus, il sera trop tard.

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