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Yakov Rabkin: «Pour beaucoup de juifs, Israël détourne les croyants de la Torah»

L’État israélien est perçu au sein de plusieurs communautés juives comme «la plus grande menace à la survie du peuple juif». Photo: Getty

Israël, l’État de tous les juifs? Dans son plus récent ouvrage, le professeur d’histoire de l’Université de Montréal Yakov Rabkin explore jusqu’à la racine la mythologie israélienne pour montrer que l’État qui claironne être celui de tous les juifs du monde est loin de faire l’unanimité parmi les principaux intéressés. Métro l’a rencontré.

Au lendemain des chambres à gaz, des camps et de l’inhumanité nazie, l’État israélien, un pays-forteresse érigé au cœur d’une région où les parfums de pétrole – et de poudre – ne sont jamais très loin, faisait figure de refuge pour les juifs du monde entier. Or le projet sioniste, antérieur de près d’un siècle au massacre de la Shoah, était d’abord, explique Yakov Rabkin dans son livre Comprendre l’État d’Israël, une ambition chère aux fondamentalistes chrétiens qui «croient que la Terre sainte doit être peuplée par les juifs pour déclencher le second avènement du Christ».

«82% des chrétiens évangéliques blancs aux États-Unis affirment que Dieu a donné la terre d’Israël aux juifs. Chez les juifs américains, cette proportion n’atteint que 40%, précise l’auteur. Je pense que cela explique tout.»

Ces évangélistes protestants – estimés à 50 millions d’âmes aux États-Unis – seraient de plus fervents défenseurs de l’État «juif» que les juifs eux-mêmes, avance M. Rabkin, qui rappelle que de nombreuses communautés juives perçoivent Israël comme la principale menace à la survie du peuple juif.

«Israël est souvent critiqué comme étant la principale source du malheur des juifs», indique-t-il en citant le journal – israélien – Haaretz, qui croit que les politiques de l’État israélien envers ses voisins palestiniens exacerbent l’antisémitisme dans le monde.

C’est aussi sur le plan spirituel que l’État israélien est controversé au sein du «peuple juif», une désignation souvent utilisée par les responsables israéliens qui, dénonce M. Rabkin, manipulent l’opinion en présentant la mosaïque de communautés juives réparties dans le monde comme un bloc monolithique.

«Pour susciter la mobilisation en faveur d’Israël, les dirigeants du mouvement sioniste se sont appropriés des concepts judaïques à des fins politiques. Pour beaucoup de juifs, l’État israélien détourne les croyants de la Torah», explique M. Rabkin.

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Malgré la dispersion des juifs dans le monde, l’État qui prétend les représenter émane résolument d’Europe, ajoute M. Rabkin. Selon le professeur, c’est sur l’idéal européen d’un État tout-puissant et séculier, appartenant à un peuple et à une foi que s’est érigé le projet sioniste. «Tant le sionisme que l’antisémitisme ont pris racine en Europe, le continent d’où originent le colonialisme et la discrimination raciale», rappelle M. Rabkin.

Ce paradoxe à l’origine de l’État juif est illustré par la chercheuse Anita Shapira, citée dans l’ouvrage, pour qui «la psychologie sioniste se forme de deux paramètres contradictoires: un mouvement de libération nationale d’un côté, et un mouvement de colonisation européenne d’un pays au Moyen-Orient de l’autre.»

Ainsi, l’État israélien, condamné à repousser sans cesse ses frontières pour accueillir la diaspora juive, a toujours besoin d’ennemis pour «justifier ses énormes dépenses militaires», selon Yakov Rabkin, pour qui les évocations du caractère juif d’Israël sont de moins en moins légitimes, et «se traduisent de plus en plus comme une justification de l’exclusion tous azimuts de l’Arabe».

«Malgré son évidente domination militaire, Israël se sent constamment menacé, conclut M. Rabkin. Comme s’il fuyait sans qu’on le poursuive…»

Mise en page 1Comprendre l’État d’Israël
Éditions Écosociété

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