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Trudeau contre Trudeau

Michel Venne - directeur général de l’institut du nouveau Monde

Justin Trudeau peut n’afficher que son prénom sur ses pancartes, son patronyme est lourd d’histoire. Et il ne peut y échapper. L’influence de son père a été immense. Premier ministre du Canada de 1968 à 1984, Pierre Elliott Trudeau a été un des plus illustres metteurs en scène et un des plus grands acteurs du drame politique canadien de la deuxième moitié du XXe siècle. Il a façonné ce pays. Mais ce faisant, il a soulevé des forces contradictoires contre lesquelles son fils doit maintenant se battre pour redonner le pouvoir à son parti.

Le politologue Guy Laforest a déjà écrit que Trudeau avait été notre de Gaulle et notre Roosevelt. Il était un courant d’air frais au moment où le Canada sombrait dans l’ennui. Il incarnait une vision de ce pays au moment où celui-ci cherchait une façon de se définir dans l’ombre des États-Unis et sous la menace d’un nationalisme québécois de plus en plus affirmé.

Son héritage reste mitigé. Dans sa quête d’unité, il a nourri le sentiment d’aliénation dans l’Ouest et le nationalisme au Québec. Il voulait un pays bilingue d’un océan à l’autre et l’épanouissement des francophones : nous récoltons aujourd’hui les fruits d’une assimilation soutenue et le déclin du bilinguisme officiel. Il a mené une politique économique nationaliste : nous vivons aujourd’hui dans le libre-échange. Une tache à son dossier : grand défenseur des libertés civiles, il a fait emprisonner injustement, durant la Crise d’octobre, en 1970, des centaines d’intellectuels québécois.

Mais l’héritier devra surtout faire face aux forces qui se sont exprimées en réaction aux volontés de son père. En rapatriant la Constitution canadienne de Londres en 1982 et en l’assortissant d’une Charte des droits, Trudeau a offert aux Canadiens dispersés un pays dont ils n’avaient pas tous conscience. Sa volonté s’est toutefois heurtée à un nationalisme québécois qui se réveille chaque fois qu’on le croit endormi. Il suffit de voir les réactions que suscite l’ouvrage de Frédéric Bastien (La bataille de Londres) pour le comprendre. Un parti souverainiste est au pouvoir à Québec et le libéral Philippe Couillard veut reprendre les négociations constitutionnelles. 1982 est une blessure qui ne guérit pas.

L’opposition québécoise à la politique nationale de Trudeau avait renforcé l’aliénation de l’Ouest, déjà fortement ressentie à l’encontre du pouvoir central et du French Power. Celle-ci s’est muée en force politique, celle qui a mené au pouvoir Stephen Harper et qui récolte aussi l’appui d’une partie de la population qui, ayant bien compris le sens d’une charte des droits, celle que Trudeau a enchâssée dans la Constitution, invoque sa liberté individuelle à l’encontre du pouvoir de l’État, que Trudeau le fils voudrait réhabiliter.

Le fils doit affronter les fantômes laissés par son père sur ce pays. Ce sera son premier combat.

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