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TLMEP : Louis Morissette, Blackface et maladresse

Louis Morissette à Tout le monde en parle Photo: ICI Radio-Canada Télé

Collectivement, on ne veut pas parler ouvertement d’un débat, ni de racisme. Mais les sensibilités sont réelles, comme en témoigne le passage de Louis Morissette sur le plateau de Tout le monde en parle, deux mois après la diffusion du Bye Bye qui a causé la controverse du blackface.

Morissette est venu justifier sa position à la suite de son texte d’opinion et, chapeau à lui, il est venu affronter les arguments des invités sur le plateau. En ce sens, il a fait face à la musique, ce qui est de plus en plus rare dans nos médias. Là-dessus, rien à redire. Morissette a fait preuve de maladresse, mais il ne se cache pas. Au moins. Sauf que…

https://twitter.com/aurelolancti/status/699040450309656576

Le hic, c’est que Louis Morissette confond les choses. Il admet que le débat a dévié, sauf qu’il est celui qui tient la voile du navire face aux vents. Parce que le blackface qui fait tant jaser, c’est tellement plus qu’une action de faire jouer un noir par un blanc. Tellement, mais tellement plus.

En 2000, dans son film Bamboozled, le cinéaste Spike Lee poussait la réflexion à l’extrême sur l’utilisation et l’appropriation du blackface. Il proposait une question épineuse : comment se produirait le retour d’un Minstrel Show sur les ondes d’un grand réseau de télé, même en se cachant derrière le couvert de la satire et de l’hommage historique en utilisant des comédiens noirs arborant le blackface pour se le réapproprier.

«Feed the idiot box», le message répété du personnage principal du film dans sa quête de produire de la télévision populaire, payante et controversée – avec l’ultime objectif de faire de l’argent.

Cette satire cinématographique souligne une évidence qui échappe à Louis Morissette dans sa revendication d’utiliser les codes d’antan pour véhiculer son humour : le racisme n’est pas mort et on ne peut pas reprendre ses armes pour divertir les masses.

Le racisme n’est pas une contrainte de production et le blackface n’est pas la même chose qu’un homme portant une perruque ou une femme portant une moustache.

Louis Morissette n’est pas raciste, il est maladroit. Sa maladresse n’est pas d’avouer qu’il n’avait pas mesuré la portée du blackface en revendiquant le droit de l’utiliser, sa maladresse est de chercher à le comparer à d’autres choses pour calmer les foudres envers lui. Le problème n’est pas dans l’utilisation d’un acteur blanc pour imiter une personnalité noire, le problème réside dans l’application de cire à chaussure sur le visage de quelqu’un pour en exagérer les traits et «améliorer» la vraisemblance du personnage.

L’acte de modifier l’apparence d’une personne en noircissant son visage ne change pas seulement la couleur de sa peau, il renvoie directement à l’esclavagisme, aux champs de coton, au melon d’eau et à cette image destructrice du noir prisonnier en Amérique qui est paresseux, idiot et la caricature souriante d’un être humain inférieur.

Le bagage du blackface, c’est ça. Ce n’est pas une histoire de couleur et d’utilisation du «mot en N» comme se défend Louis, c’est la trace tangible d’une Amérique pas si lointaine où tous les non-blancs étaient inférieurs à l’homme blanc propriétaire, prospère, à la fois juge et bourreau du sort de l’humanité. Et quand on parle de pas si lointaine, suffit de regarder les réseaux sociaux dix minutes pour comprendre que le racisme existe encore et s’alimente dans cette haine insidieuse.

Quand Louis Morissette veut centrer le débat sur sa chronique dans son magazine, il est maladroit. Pas raciste, mais mal informé.

C’est quand même une pente glissante parce qu’on ne veut pas insinuer qu’il ne veut pas voir d’ethnies dans sa troupe de comédiens, ça ne serait pas honnête. Sauf que s’il parle de l’embauche d’un comédien noir pour jouer François Bugingo comme d’une contrainte de production et qu’il glisse ensuite vers une blague comme quoi les Bye Bye seront plus difficiles à faire en raison de cela, il y a matière à inquiétude.

L’individu n’est peut-être pas raciste dans le cas présent, mais le médium qu’il utilise pour faire ses productions l’est peut-être, encore un peu, dans sa façon de faire, de décider et de montrer les choses. L’exemple soulevé par Carla Beauvais qu’Unité 9 est «blanc blanc blanc» alors que le monde carcéral est particulièrement multiethnique résonne tristement.

Pour ce qui est de la logistique d’avoir un comédien supplémentaire pour imiter un noir, pourquoi ne pas en inclure un dans le noyau fort du Bye Bye? Si un blanc peut jouer un noir, dans la maladresse exprimée par Louis Morisette, pourquoi est-ce qu’un noir ne pourrait-il pas imiter un politicien blanc? À ce que je sache, la couleur de la peau n’a jamais été un obstacle à l’humour et il n’y a pas d’historique négatif envers le «whiteface», au contraire.

La maladresse, elle est là. Au lieu d’admettre son erreur et de corriger le tir, Morissette s’acharne à revendiquer une liberté d’expression qui n’a pas lieu d’être. Peinturer un comédien en noir, ce n’est pas de la liberté d’expression, c’est l’appropriation d’une pratique dévastatrice pour un peuple. Pour les mêmes raisons qu’on ne peut pas rire des chambres à gaz et de la déportation massive et sanguinaire des Acadiens, on ne peut pas imiter un noir en utilisant un costume d’humain inférieur construit au 19e siècle.

Ça ne se fait tout simplement pas, liberté d’expression ou non.

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