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Dans les tranchées ennemies

Photo: Josie Desmarais/Métro

Adolescente, j’entendais depuis ma chambre les invités que recevaient mes parents hausser le ton quand il s’agissait de parler politique. Le cœur battant, je m’approchais des escaliers menant au sous-sol pour écouter cette montée d’adrénaline. J’aimais à l’occasion m’immiscer dans ces discussions où mes interventions bégayantes surprenaient les messieurs.

Ce goût pour l’expression ne m’a jamais quittée. L’envie de partager un point de vue, de débattre, de participer à la confrontation d’idées a été marquante dans mon parcours. Au secondaire, je raffolais des exposés oraux et aujourd’hui j’ai la chance de prendre part à des panels et de donner des conférences un peu partout au Québec.

Toujours, cette nécessité de dire qui persiste.

Mais quelque chose a fini par changer: l’idéalisation du début s’est estompée. J’ai appris à la dure que les paroles de tous et toutes ne s’équivalent pas dans les contextes de délibérations publiques, et que même invité(es) autour de la table, les conditions restent plus difficiles pour certain(e)s.

En psychologie sociale, on parle aussi de biais cognitifs qui modulent la façon dont un propos sera reçu selon la personne qui l’énonce. Par exemple, le statut social, l’apparence, l’accent, la couleur de la peau, le genre, la condition économique sont des caractéristiques qui influencent les perceptions. Il faut également relever la virulence qui s’abat a posteriori sur les femmes.

Maintes difficultés vont donc jalonner la participation au dialogue public.

Devant tout cela, mon premier réflexe a été de me recroqueviller. Et de commencer à haïr l’idée qu’il faille débattre, surtout quand il s’agit de droits des un(e)s et des autres. Je me suis alors contentée quelque temps d’espaces sécuritaires, des fameux safe spaces qui polarisent et dérangent. Je dis sans complexe qu’ils m’ont été bénéfiques et libérateurs, ces espaces où on peut parler et respirer sans que le propos et les intentions soient tordus dans tous les sens.

Ils ont été un rempart, le temps de recharger les piles. Puis voilà la part idéaliste qui renaît, alors que je la pensais perdue pour de bon. Et avec elle l’envie de descendre dans les tranchées adverses, de demander dans un porte-voix: «Et vous, rendre ses lettres de noblesse au débat, ça vous tente?»

Bien sûr, l’usage de la parole à lui seul suffit rarement pour régler les enjeux, mais l’échange politique, même conflictuel et émotif, est un exercice émancipateur quand chacun y trouve sa place et que les plus marginalisés d’entre nous peuvent y participer sans être décrédibilisés.

Parfaire les conditions du dialogue public est alors un travail de tous les instants.

Dans Le trésor perdu de la politique, la professeure en philosophie Diane Lamoureux rappelle aussi que l’objectif de la délibération n’est pas de parvenir à l’unanimité, mais plutôt de contribuer à une réflexion de la société sur elle-même.

C’est vrai même quand les sujets nous sont en quelque sorte imposés par des conjonctures politiques rarement idéales, mais on peut tenter de les rendre un peu plus constructifs, un peu moins déchirants.

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