Comment rater l’essentiel
La nouvelle est certainement tombée comme un soulagement pour les deux premiers ministres des Québécois: le projet Énergie-Est serait, de l’aveu même de la pétrolière, mort dans l’œuf. Il était controversé depuis l’annonce initiale, et son décès ne peut, en effet, que s’avérer une belle nouvelle pour les Trudeau et Couillard.
Alors que le premier s’évite d’avoir à poursuivre son rôle d’éducatrice de garderie interprovinciale, le deuxième se déleste, du moins pour l’instant, de son étiquette de je-vends-le territoire-québécois-au-profit-canadien. En bref, une bonne affaire pour les deux chefs de gouvernement.
Ceci, cela dit, n’allait pas empêcher un nouvel épisode d’une télésérie fort prisée: Récupération politicienne. C’est ainsi que certains leaders albertains, Jason Kenney au premier chef, s’amusent depuis à casser du sucre sur le dos québécois. Les dirigeants de la Belle Province étant apparemment responsables de l’échec du projet, il s’agira alors de punir ces derniers, notamment par la tenue d’un référendum (albertain) lors duquel sera discutée une remodulation de la formule de péréquation, jugée trop favorable aux contribuables du Québec.
Et de quelle manière? En excluant du calcul actuaire les revenus provinciaux tirés directement de l’exploitation pétrolière, cela assurant une baisse théorique du niveau de richesse de l’Alberta. Cette dernière «paierait» ainsi donc moins de péréquation, le tout aux dépens des provinces dites plus pauvres qui en bénéficient d’ordinaire, dont le Québec. Vous me suivez?
Habile stratagème. Sauf que l’opération, aux visées éminemment électoralistes, ne tient compte en rien de la réalité. Les dirigeants politiques québécois à l’origine de l’abandon du projet, vraiment? Eh ben. Pour ma part, je me souviens plutôt d’un Philippe Couillard clair et opiniâtre: Énergie-Est doit avoir lieu, et Québec fournira son effort de guerre, notamment au bénéfice de ses partenaires fédératifs. Pas question, donc, de mettre de l’eau dans le gaz (pardon).
Difficile ainsi de conclure en quoi le politique de la Belle Province serait responsable de l’échec en question, surtout que le Parti québécois a lui aussi, à un certain moment, appuyé ledit projet.
Si M. Kenney et cie faisaient preuve d’un minimum de probité intellectuelle, ils conviendraient plutôt de la chose suivante : Énergie-Est était devenu, tout simplement, moins attrayant sur le plan coûts-bénéfices. Pensons à la dévaluation du prix du baril de pétrole, jumelée à la venue prochaine d’autres projets de pipeline. Aussi simple que ça. Une décision d’affaires, non motivée par de prétendus bâtons-dans-les-roues gouvernementaux. L’appui des gouvernements, au contraire, semblait acquis. Tant à Québec qu’à Ottawa, d’ailleurs. Faudra ainsi trouver un autre coupable.
Cela dit, j’ai comme l’impression que toute cette affaire nous distrait de l’essentiel. Compte tenu de l’avis de la quasi-totalité des scientifiques, comment le Canada, Québec inclus, peut-il aujourd’hui se faire le porte-étendard de projets de pipeline? Au-delà des risques environnementaux exponentiels, encourager de tels projets ne revient-il pas à promouvoir, par définition, l’usage du pétrole? En 2017? Pendant que l’ONU prévoit, d’ici 30 ans, 250 millions de réfugiés du fait du… réchauffement climatique?
Le tout, rappelons-le, pendant que notre premier ministre fédéral se tape de belles randonnées en kayak le Jour de la Terre, égoportraits à l’appui.
Ça ne peut aller pas si mal, au fond.