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Duhaime ou le déni de soi

Comme à peu près tout le monde, j’attendais (ou appréhendais, c’est selon) avec impatience ce qui allait être la plus grande annonce de la carrière d’Éric Duhaime. Celui-ci est homosexuel. Jusque là, ça va. Ce n’est pas comme si on ne savait pas, de toute façon. C’est le reste de son annonce qui fut choquant. Selon lui, «les homosexuels québécois ont atteint une pleine reconnaissance de leurs droits, contrairement au “lobby gai” qui cherche encore à les ériger en victimes».

Affirmer que la lutte contre les violences qui visent la communauté 2SLGBTQI+ est terminée est profondément faux. Lundi, on pouvait lire dans Le Devoir qu’un climat de peur régnait dans le Village depuis quelques semaines. Des homosexuels se sont fait tabasser, gratuitement, en pleine rue. J’ai été témoin de bien des choses horribles à l’école secondaire et j’ai vu des amis sombrer dans la dépression à un très jeune âge à cause du rejet de leur famille ou de leurs ami-es. Je ne suis pas vieille, et cela ne fait pas 20 ans. Je travaille avec les jeunes et j’entends encore la même chose.

Récemment, j’ai commencé à m’impliquer plus activement en faveur des droits de mes pairs (oui, salut, je fais moi aussi une annonce en grandes pompes – mais pas tant, non plus). J’ai commencé à militer parce que j’ai découvert sur le tard, c’était quoi être une personne aux deux esprits. Je vous explique. Traditionnellement, chez beaucoup de Nations autochtones, les membres de la communauté LGBTQI+ étaient perçus comme des personnes spirituellement plus élevées. On explique cette diversité sexuelle ou de genre comme ça: chacun-e a un esprit à l’intérieur de soi, mais les personnes aux deux esprits, vous l’aurez deviner, en ont deux. La diversité était donc célébrée, jusqu’à l’arrivée des colons et de l’Église. Vous connaissez la chanson.

Par peur, beaucoup se sont convertis. C’est pourquoi l’Église est encore très présente dans les communautés autochtones du Québec. À certains endroits, suffit de dire metutshan (sweatlodge) pour faire sourciller. L’homosexualité est donc très mal perçue dans quelques réserves. Certains jeunes doivent partir de chez eux pour vivre leur sexualité en sécurité. Le taux de suicide chez les jeunes autochtones est de cinq à sept fois plus élevé que chez les jeunes allochtones. Ajoutons à cela une statistique alarmante : les personnes aux deux esprits sont deux fois plus à risque de se suicider ou d’avoir​ des pensées suicidaires. C’est pourquoi j’appuie des initiatives comme celle de Montréal Autochtone, qui cherche à rendre son centre d’amitié plus accueillant pour la communauté, ou de Grandir Ensemble, à Pikogan, qui fait de la sensibilisation. Parfois, il n’y a pas juste les institutions démocratiques ou scolaires qu’il faut décoloniser. Parfois, ça commence avec nous-mêmes.

J’ai grandi avec les ami-es de ma mère, qui sont gais ou lesbiennes. J’ai toujours pris la défense de cette communauté encore trop marginalisée; les propos de Duhaime en sont la preuve. J’aime mieux m’associer au «lobby gai» sur lequel Duhaime crache que de renier les Marie-Chantal, les Guylou, les Helene, les Barbara et toutes les autres qui m’ont aidée à accepter qui j’étais et à accepter les autres dans leurs différences.

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