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Maïtée vs le miroir

Très jeune, j’ai développé des complexes à propos de mon apparence. J’ai été la cible de moqueries au primaire, et mon image corporelle est rapidement devenue une obsession et une source d’anxiété pour la petite fille que j’étais. Je suis Autochtone, j’ai donc une pilosité plus forte, c’est bien normal. Mes traits n’étaient pas non plus ceux de mes camarades de classe. Ça a duré jusqu’en 6e année. Le passage au secondaire fut donc un soulagement, car les insultes sur mon physique et mes origines ont alors cessé. Mais les blessures restent et me suivent encore, même à l’âge adulte.

La colonisation s’exprime parfois de façon bien vicieuse. Les standards de beauté occidentaux qu’on m’a imposés m’ont rendu malade. Constater que je ne correspondais pas à la forme corporelle sablier et que j’étais loin d’avoir une taille de guêpe m’a poussée à me priver de nourriture. À l’époque, je me disais qu’en maigrissant, j’allais enfin avoir une taille fine comme celle des filles sur le catwalk de Victoria’s Secret, même si j’étais déjà toute petite. Quand ma maman a accouché, les médecins ont mesuré notre tête et notre cage thoracique, en disant que c’était caractéristique des Autochtones que celles-ci soient plus larges. J’ai effectivement une grosse cage thoracique qui touche presque à mes hanches, donc il est physiquement impossible pour moi d’avoir la forme d’un sablier. Je l’ai su trop tard et j’ai aussi compris trop tard que je m’étais tant haïe à cause de ce que le colonisateur considère comme la femme parfaite et attirante.

Les standards de beauté en Occident n’affectent pas seulement les personnes racisées. Selon la Clinique des troubles alimentaires BACA, 30 000 femmes au Québec souffrent d’un trouble alimentaire, sans oublier les hommes, qui en souffrent aussi. Au pays, on recense chaque année environ 100 décès liés aux conséquences des troubles alimentaires. Les ressources d’aide n’abondent pas et les traitements dans des cliniques spécialisées sont coûteux. Lorsqu’on souffre de troubles d’alimentation, cesser de nier sa condition peut s’avérer très long et on finit par développer des techniques pour le cacher. Les stéréotypes entourant les troubles alimentaires participent aussi de l’«invisibilisation» de beaucoup de personnes qui en sont atteintes. Ce ne sont pas toutes les personnes anorexiques ou boulimiques qui sont maigres. Pour ce qui est de l’hyperphagie, les personnes qui en souffrent sont seulement vues comme des gloutonnes. On ignore aussi que les troubles alimentaires sont nombreux et ne se résument pas à l’anorexie et à la boulimie: compulsions alimentaires, syndrome d’hyperphagie nocturne, mérycisme, orthorexie, exercice compulsif, dysmorphie musculaire, etc. Et selon plusieurs sources, le taux des personnes atteintes est en hausse.

Même si la guérison va bon train, ça reste une bataille constante. C’est latent ou toujours dans ton esprit. Manger de la nourriture traditionnelle, eenou meechum, est un bon moyen pour moi d’avoir une bonne relation avec ce qui se trouve dans mon assiette. J’ai aussi accepté le fait que j’ai une shape de rectangle. Mais un beau rectangle.

@MaiteeSaganash

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