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L’enrobage

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miriamfahmy2014 - Directrice de la recherche et des publications à l’Institut du Nouveau Monde

Plus personne n’est «gros». On est rond, enveloppé, en surpoids. Les aveugles sont «non-voyants». Les immigrants sont des «personnes issues de minorités ethnoculturelles». Et les pays pauvres sont désormais «en voie de développement». Ces entourloupettes de langage, personne ne s’en plaint, car elles ne font pas de mal. Elles font plutôt du bien.

Il existe des inventions langagières plus sinistres. Quand le bombardement d’un village devient une «frappe ciblée» et la mort de civils des «dommages collatéraux», on peut comprendre que la manipulation du langage est une arme puissante permettant de faire passer une idée qui, présentée plus honnêtement, susciterait de l’opposition.

La liste est longue de ces expressions qui permettent d’enrober une pilule: la réingénierie de l’État? Entendez une compression dans les dépenses publiques. L’exploration énergétique? Imaginez plutôt des puits de pétrole et de gaz. La charte des valeurs? Euh… de la laïcité. Les paradis fiscaux? Dites plutôt enfer des contribuables ordinaires. Voilà de belles preuves de créativité au service de la duperie. Apprendre à les repérer: des heures de plaisir!

Récemment, le gouvernement fédéral a rassemblé ses meilleurs scribes pour nous en pondre toute une: le Fair Elections Act. Des élections justes. Le titre français officiel, «Loi sur l’intégrité des élections», ne traduit pas l’ampleur de l’hypocrisie exprimée par le seul choix de nom pour ce projet de loi.

Alors qu’il retirait le mandat d’éducation du public d’Élections Canada; alors qu’il créait une nouvelle échappatoire permettant aux partis de dépenser plus d’argent; alors qu’il mettait le Commissaire aux élections, qui enquête sur les allégations de fraude électorale, sous la responsabilité du ministre de la Justice, membre d’un parti lui-même reconnu coupable de fraudes; alors qu’il enlevait à des centaines de milliers de Canadiens la possibilité de voter, car ils n’ont pas de preuve d’adresse fixe; on voulait nous faire croire à un projet de loi «juste». C’est ce que j’appelle de la prophylaxie langagière : utiliser un vocabulaire pour se prémunir contre une accusation dont, au fond, on se sait coupable.

Les critiques n’ont pas tardé à se manifester. Bon nombre de citoyens, de parlementaires et d’organisations ont démonté une à une chacune des dispositions du projet de loi, que le gouvernement a finalement accepté de modifier. Tout n’est pas réglé, mais la preuve d’adresse ne sera pas exigée, l’échappatoire de financement a été retirée et Élections Canada sera autorisée à parler aux jeunes du primaire et du secondaire.

Mardi, le projet de loi amendé a été adopté à la Chambre des communes avant d’être transmis au Sénat pour approbation.

Rendre beau ne rend pas plus vrai. Les Canadiens n’ont pas été dupes. Ils ont vite déshabillé le projet de sa rhétorique fallacieuse pour révéler la pilule empoisonnée.

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