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La chorale des bouffons

Disons-le d’emblée, il n’y a pas ici matière à scandale. Personne ne perdra son poste pour avoir entonné un chant religieux à l’approche des fêtes et à ce que je sache, personne n’a encore réclamé que la fête de Noël soit abolie. J’en ai fait un statut Facebook soulignant avec humour l’ostensibilité du port du téléphone intelligent par le Ministre des institutions démocratiques, et je n’en aurais pas fait un billet de blogue si un chroniqueur nationalo-conservateur ne s’était pas saisi de cette anecdote pour réclamer le droit ministériel à chanter Gloire à Dieu au plus haut des cieux dans les escaliers de l’Assemblée Nationale.

Il n’y a pas matière à scandale, mais il y a à tout le moins dans la chorale du PQ matière à indignation. Une indignation qui se justifie parce que, comme pourrait l’écrire ledit commentateur, les événements ne sont pas détachés les uns des autres : ils s’inscrivent toujours dans un contexte. Ici, la chorale de Noël du PQ ne s’inscrit pas aléatoirement dans le grand contexte d’une tradition québécoise catholique de la colonisation à nos jours, mais dans une période précise de notre histoire où ces mêmes ministres qui chantent Gloria demandent à des fonctionnaires appartenant à des minorités religieuses de mettre de côté leurs convictions dans l’exercice de leurs fonctions. Comme disais ma mère quand j’avais accès à un privilège auquel les autres n’avaient pas droit : «garde un profil bas».

Le contraire démontre l’insensibilité avec laquelle on veut imposer la laïcité non pas à l’État – ce qui serait tout à fait raisonnable – mais aux individus, de l’éducatrice en CPE à l’anonyme comptable d’une entreprise ayant des liens de près ou de loin avec le gouvernement, alors qu’on chante la gloire de la religion majoritaire au cœur même de nos institutions démocratiques. Ironiquement, cela démontre à quel point la religion majoritaire, symbolisée par le crucifix de l’Assemblée nationale, dont le sort demeure flou, est une entrave encore plus grande à la neutralité religieuse de l’État, puisqu’elle semble empêcher à nos chanteurs du dimanche de considérer le biais de leur projet de loi.

Dans ce contexte, chanter Gloria m’apparaît non seulement ostentatoire, mais baveux. C’est pas Mon beau sapin ou J’ai vu maman embrasser le Père Noël, c’est un hymne à la gloire de Dieu qui est chanté avec désinvolture, dans un contexte où l’on s’apprête à restreindre la liberté de conscience avec tout autant de désinvolture. En fait, c’est pas tant le chant, qui est ostentatoire, que la nonchalance, pour ne pas dire l’inconscience avec laquelle il est chanté. Alors que des personnes appartenant à des religions visibles sont stigmatisées et qu’elles se questionnent probablement sur leur avenir professionnel, on chante haut et fort, le sourire aux lèvres, la religion de la majorité. Ça manque, disons, de délicatesse.

Incapable de reconnaître que cela puisse être offensant, notre commentateur nationalo-conservateur va jusqu’à assimiler cette indignation à un militantisme radical. Or, il n’est pas question ici d’interdire Noël ou de condamner les chants religieux dans la vie en général, mais de demander aux ministres qui s’apprêtent à jouer dans la religion des autres à se garder une petite gêne quant à la leur, qui plus est dans le bâtiment où sont votées les lois. Ce n’est pas être le grincheux voulant gâcher Noël que de réclamer un tantinet plus de classe et de respect de la part de nos élus.

Curieusement, cette fanfaronnade m’a fait penser au Temps des bouffons de Pierre Falardeau, le ridicule des fausses barbes des membres du Beaver Club étant remplacé ici par le ridicule tout court.

Il n’y avait rien de si scandaleux dans les célébrations du 200e anniversaire du Beaver Club. Cette célébration était surtout scandaleuse à travers le regard indigné de Pierre Falardeau, à travers sa lecture post-coloniale, à travers la comparaison aux colonisés du Ghana, les protagonistes n’ayant, eux, l’impression de rien faire de mal. Bien sûr, c’est l’opulence ostentatoire d’une petite bourgeoisie dans laquelle les colonisés sont assimilés aux colonisateurs par le simple pouvoir de l’argent qui choque. Ça et le langage cru de Falardeau. J’en cite un extrait ici, et je vous épargne le bout où ça dit le mot «plotte» : «Au Ghana, les pauvres mangent du chien. Ici, c’est les chiens qui mangent du pauvre. Et ils prennent leur air surpris quand on en met un dans une valise de char». Parlant de radicalisme.

Je m’égare, mais c’était pour vous donner le goût de revoir ce magnifique petit film de 15 minutes qui se termine avec cette citation savoureuse de Roger Landry, alors président du Beaver Club : «Applaudissons-nous, we are magnificient people». Le chant du PQ clôt avec autant de magnificence et de faste une session parlementaire qui, quand on la regarde à travers la lorgnette des droits des minorités, n’est pas tellement glorieuse.

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