Soutenez

Manger du chinois

Photo: Getty Images/iStockphoto

Weber disait que, pour expliquer un phénomène social sans s’enfarger dans nos propres jugements de valeurs, il fallait camper les concepts de manière à ce qu’ils soient compréhensibles même pour un Chinois. Notre sociologue allemand se serait toutefois butté à une aberration méthodologique pour expliquer à un Chinois la réaction de quelques occidentaux à une fête traditionnelle chinoise dont le menu sera essentiellement composé de viande de chien? Puisque l’événement se déroule quelque part en Chine et qu’il implique des Chinois, je propose le Martien comme nouvelle figure ultime d’altérité.

Laisse-moi t’expliquer la situation, cher Martien. Sur Terre, tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus smatt que d’autres. Il y a d’abord l’humain. Lui, tu ne lui touches pas, c’est le plus smatt. Ensuite, il y a tous les autres animaux, à qui tu peux faire à peu près ce que tu veux. Sauf les vaches, en Inde. Dans d’autres régions du monde, on a hiérarchisé les animaux de façon plus ou moins arbitraire, en conférant certains droits à ceux qui se prêtent mieux à la domestication. Par exemple, ceux qui ont le droit de dormir dans ton lit même s’ils lèchent tout ce qu’ils trouvent par terre et même si ils se roulent dans des substances non-identifiées, comme les chiens ou les chats (surtout les bébés chats, qui sont vraiment cuuuuutes). Pis t’as des petits animaux que tu peux garder dans des cages pour ton bon plaisir, mais ceux-là, dans la nature, ça se peut qu’ils ne soient pas tes amis. Comme les rats. T’as deux sortes de rats : les bons, à qui tu donnes un nom et une roulette pour faire de l’exercice, et les mauvais, que tu appâtes avec du poison pour qu’ils meurent dans d’atroces souffrances dans les canalisations.

Tous les autres, tu peux les bouffer ou te faire un manteau de chinchilla avec. Mais pour ça, il faut que tu les abattes «humainement». Ça, les gens pensent que ça veut dire qu’on leur chante une berceuse avant de leur enlever la vie, mais au fond, ça veut juste dire qu’on ne les voit pas mourir.

Je sais que c’est compliqué. Pour juger moralement de tout ça, t’as des défenseurs des animaux. Ceux-là proviennent généralement des pays où tu parles à ton chien comme s’il te comprenait, de même  : «C’est à qui le beau toutou à sa maman? C’est à qui?». Ces gens-là, d’habitude, savent que la vie d’un chien ou d’un chat ne vaut pas plus ou moins que celle d’une vache ou d’un cochon. La plupart sont cohérents et s’abstiennent de manger des animaux ou d’en porter.

Mais quand ils apprennent qu’il y a des gens qui mangent des animaux qu’on aime dans un autre pays, ils en profitent pour rallier l’opinion publique derrière eux. Ils savent qu’ils ne pourront pas convaincre monsieur-madame-tout-le-monde d’arrêter de manger du poulet, du porc et du bœuf – ça, c’est le nom qu’on donne aux animaux avant de les manger -, parce que c’est bon, ces petites bêtes-là, surtout sur le grill en été. Mais ils pourront au moins les emmener à s’indigner contre les «barbares» qui mangent du chien. Ils vont crier au meurtre bien assis dans leur beau sofa en cuir (n.m. : peau d’animal). Surtout si ça se passe dans un autre pays. Parce que même si tous les humains sont égaux, cher Martien, t’en a toujours un groupe qui aime se penser plus smatt qu’un autre.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.