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Juger les gens

On aime juger les gens. Surtout lorsqu’ils semblent être plus cons que nous. Ça nous rassure, j’imagine, de ne pas être aussi cons qu’eux. Récemment, La Presse a publié la vidéo d’un couple endetté vivant visiblement au-dessus de ses moyens. «Les banques nous ont laissé nous engouffrer», explique l’homme. Cet apitoiement a suscité l’indignation, hier, sur les réseaux sociaux. Plusieurs ont décrié le rejet de toute responsabilité individuelle par ce couple qui se présente en victime du système.

Il y a sûrement quelque chose de réconfortant à juger ses illettrés de la finance. Ça nous fait nous sentir smatts de ne pas être dans cette position-là, mais je pense que plusieurs personnes conférèrent comme eux une autorité aux banques et à leurs soi-disant «conseillers» dans un domaine – de plus en plus complexe – où ils sont moins compétents.

Bien sûr, l’endettement relève de la responsabilité individuelle, mais dans un monde où la complexité des transactions augmente et où les acteurs en position d’autorité ont des intérêts de moins en moins transparents, de nombreux facteurs expliquent, sans l’excuser, la faillite de plusieurs Québécois.

L’un des premiers facteurs est peut-être le manque de connaissances financières des Québécois de manière générale. La moitié d’entre eux souffriraient d’alittératie financière, c’est-à-dire qu’ils ne possèderaient pas les compétences nécessaires pour prendre des décisions éclairées et responsables quant à leurs finances. Même parmi les investisseurs les plus éduqués, 5% à peine passeraient le test de compétences requises pour investir de manière rationnelle selon l’Autorité des marchés financiers. Cela veut dire que pas grand monde, au fond, n’est à l’abri de l’erreur financière, qu’il s’agisse de surendettement ou d’une mauvaise planification de la retraite. On se trouve encore smatts?

L’autre facteur est probablement l’autorité que l’on confère aux banques. Les enquêtes de crédit, qui scrutent votre passé à la loupe, analysent votre salaire et établissent votre capacité d’endettement semblent tellement rigoureuses, qu’elles se présentent comme un sceau officiel d’approbation à l’emprunt. On se dit alors que si on a passé le test, c’est que la banque juge qu’on a la capacité d’emprunter. Sinon, on aurait échoué ledit test, non? Or, l’objectif des banques n’est pas tant d’assurer votre confort financier que le leur. Leur intérêt, c’est que vous en payiez, de l’intérêt. Les conseillers ont donc avantage à ce que vous payiez votre hypothèque le plus lentement possible. Quiconque a déjà fait l’expérience de clairer son hypothèque d’un coup sait, au soupir que cela génère chez l’employé de la banque, que ce n’est pas ce qu’il aurait préféré.

Depuis plusieurs années, des groupes militent pour que la littératie financière fasse partie des compétences à acquérir au secondaire. En l’absence de cours adéquats offerts dans les écoles, des organisations associées à des banques occupent le terrain, aux dépens de sources qui pourraient être plus neutres, comme les associations de défense des consommateurs. C’est inquiétant, puisqu’il y a une différence entre le discours qui encourage à «bâtir son crédit» et celui qui enseigne plutôt à limiter d’y recourir, pour ne citer que cet exemple.

Oui, les finances personnelles relèvent de la responsabilité individuelle et l’apitoiement n’est pas la solution, mais avant de pointer du doigt son voisin gonflable, on peut aussi réfléchir collectivement sur le fléau que constitue notre analphabétisme financier et sur les moyens d’y remédier. Ce n’est pas de la faute des banques si le couple présenté par La Presse s’est endetté au-delà de ses moyens, mais ce ne sont certainement pas les banques qui les auraient empêché de le faire.

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